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Où va l’argent de l’éducation?

MISE À JOUR 2017-01-18
Quelques chiffres de cette Note économique ont été mis à jour à la suite de la découverte d’une erreur de calcul. Le texte et les conclusions de la publication demeurent inchangés.

Le gouvernement du Québec a annoncé au printemps dernier des dépenses additionnelles en éducation. Ces nouvelles dépenses s’ajoutent aux fortes hausses qui ont eu lieu depuis dix ans. Ces augmentations sont-elles viables à long terme? Donnent-elles des résultats pour les élèves? Enfin, y a-t-il d’autres solutions qui feraient que le contribuable en aurait plus pour son argent?

Communiqué de presse : Éducation : les dépenses augmentent alors que le nombre d’élèves diminue

Annexe technique

En lien avec cette publication

Où va l’argent en éducation? (La Presse+, 30 août 2017)

We need better public school performance (Montreal Gazette, 30 août 2017)

Entrevue avec Germain Belzile (La Commission Gendron, Énergie Québec, 30 août 2017)

Entrevue avec Alexandre Moreau (Jérôme Landry au retour, Énergie Québec, 30 août 2017)

Entrevue avec Alexandre Moreau (Midi Pile, CKYK-FM, 30 août 2017)

Entrevue avec Alexandre Moreau (Sophie sans compromis, BLVD 101.2 FM, 30 août 2017)

 

Cette Note économique a été préparée par Germain Belzile, chercheur associé senior à l’IEDM, et Alexandre Moreau, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Éducation de l’IEDM vise à explorer dans quelle mesure une plus grande autonomie institutionnelle et la liberté de choix pour les étudiants et les parents permettent d’améliorer la qualité des services d’éducation.

Le gouvernement du Québec a annoncé au printemps dernier des dépenses additionnelles en éducation. Ces nouvelles dépenses s’ajoutent aux fortes hausses qui ont eu lieu depuis dix ans. Ces augmentations sont-elles viables à long terme? Donnent-elles des résultats pour les élèves? Enfin, y a-t-il d’autres solutions qui feraient que le contribuable en aurait plus pour son argent?

Moins d’élèves, plus de dépenses

Au cours des dix dernières années, les dépenses publiques en éducation de la maternelle à la fin du secondaire, en incluant les parcours professionnels et l’éducation des adultes, sont passées de 11,3 à 12,9 milliards $ en dollars constants, une hausse de 14,1 %. Cependant, durant la même période, le nombre total d’élèves dans le secteur public a diminué de 1,03 million à 995 000, une baisse de 3,6 % (voir Figure 1). Les dépenses réelles pour chaque élève (c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation) sont donc passées de 10 984 $ à 13 003 $, une hausse de 18,4 % en dix ans(1).

Figure 1

Cette augmentation a un effet considérable sur les finances du Québec, puisque l’éducation est le second poste de dépenses en importance, derrière la santé. Pour juger de cet impact, notons seulement que si les dépenses réelles par élève étaient restées stables au cours de la période étudiée, les dépenses totales de l’État auraient été de 2,3 milliards $ moins élevées en 2015-16.

Étant donné qu’on a annoncé des dépenses supplémentaires en infrastructures et l’embauche de personnel dès l’automne 2017(2), les dépenses par élève sont donc appelées à augmenter encore plus rapidement dans le futur.

Pourquoi une telle hausse?

Pourquoi les dépenses en éducation ont-elles grimpé autant? On peut d’office éliminer une cause : les dépenses d’infrastructure. Selon l’évaluation la plus récente, le déficit d’infrastructure, soit le montant qu’il faudrait dépenser pour remettre à niveau les bâtiments des commissions scolaires du Québec – ce qui inclut les écoles –, dépasse les 6 milliards $. Cette remise à plus tard des dépenses d’entretien normales a donc contribué à atténuer la croissance des dépenses du ministère(3).

C’est plutôt du côté des salaires qu’il faut regarder pour comprendre l’emballement des dépenses au cours des dix dernières années. Premièrement, le rapport élèves-enseignant dans les commissions scolaires est passé de 14,2 à 13,3 entre 2006-07 et 2015-16. Ce changement, qui peut sembler minime, a eu des impacts considérables sur les coûts récurrents en éducation. La deuxième cause d’augmentation des dépenses est liée aux paiements de l’État dans les caisses de retraite des employés, qui ont bondi de près de 50 % en tenant compte de l’inflation lors de cette même période(4). La troisième raison est le vieillissement des employés : comme on embauche pour le moment relativement peu de nouveaux professeurs, la progression automatique dans l’échelle salariale au fil des années fait augmenter les coûts par employé.

Outre les coûts salariaux, un autre phénomène fait croître de façon importante les dépenses en éducation : la croissance rapide de la proportion d’élèves en difficulté d’apprentissage et d’adaptation ou ayant un handicap. Le pourcentage de ces élèves inscrits au secteur public est passé de 16 % en 2006-2007 à 21,5 % du total en 2016-2017, une hausse d’un tiers(5). Étant donné qu’un élève présentant un handicap donne droit à une subvention qui peut être jusqu’à quatre fois plus élevée, ce facteur contribue lui aussi à la hausse des dépenses(6).

En bref, le gouvernement du Québec dépense de plus en plus en éducation. Ce n’est pas parce qu’il y a plus d’élèves ni parce que les écoles sont mieux entretenues, mais parce que le ratio d’élèves par professeur a baissé, que les coûts salariaux ont augmenté et qu’il y a plus d’élèves avec des besoins particuliers. Ceci étant, est-ce que les élèves réussissent mieux grâce à ces dépenses plus élevées?

Plus de diplômes, mais…

Pour les cohortes d’élèves débutant leur secondaire de 2002 à 2008, le taux de diplomation et de qualification sur 7 ans dans l’ensemble du Québec est passé de 72 à 79 %(7). Évidemment, il faut se réjouir si nos élèves font mieux, mais ces chiffres méritent d’être mis en contexte.

Une part non négligeable de l’amélioration du taux de diplomation du secteur public est liée à la création de nouveaux diplômes dont la valeur est remise en question par certains observateurs(8). À titre d’exemple, on peut nommer le Certificat de formation préparatoire au travail, qui nécessite que l’élève ait suivi 2700 heures de formation générale au niveau secondaire (soit environ trois années) et complété un stage de 900 heures en milieu professionnel (autrement dit qu’il ait occupé un emploi); ou encore le Certificat de formation en insertion socioprofessionnelle des adultes, décerné à un élève qui a réussi ses cours de français, anglais et mathématiques du niveau primaire, ainsi qu’une formation de 900 heures en sensibilisation au marché du travail(9). Environ 40 % de l’augmentation du taux de diplomation sur sept ans pour l’ensemble du Québec est due à ce nouveau type de qualification(10) (voir Figure 2).

Figure 2

Enfin, la pression pour améliorer les taux de réussite a-t-elle permis de maintenir la qualité des diplômes, ou a-t-elle plutôt mené à un nivellement par le bas? Il est difficile de répondre à cette question, mais certains éléments permettent de croire que la volonté de diplômer plus d’élèves a mené à une réduction de la rigueur dans leur évaluation(11).

Des pistes de solution

Au lieu de toujours injecter de plus en plus de fonds publics dans notre système d’éducation sans constater d’améliorations significatives, il serait possible d’obtenir de meilleurs résultats en changeant les façons de faire, sans que cela ne coûte plus cher.

En plus du ministère de l’Éducation, un palier gouvernemental supplémentaire s’occupe des écoles publiques : les commissions scolaires. Ces commissions ont vu le jour en 1841, alors que le ministère de l’Éducation n’existait pas(12). Aujourd’hui, la plupart des rôles réservés aux commissions scolaires pourraient être confiés aux écoles elles-mêmes, comme les écoles privées en font la démonstration. En fait, ce palier n’a plus sa raison d’être et devrait disparaître(13).

Les écoles privées réussissent en général

bien mieux que les écoles publiques. L’engouement pour l’école privée au secondaire en découle sans doute directement. Pourquoi ne pas « copier » dans une certaine mesure ces écoles et ce qui fait leur succès? Les charter schools, des écoles autonomes financées entièrement par l’État mais libres d’offrir le programme de leur choix, sont très populaires dans de nombreux États des États-Unis, en Suède et dans plusieurs autres pays.

Les recherches démontrent qu’un réseau d’écoles concurrent au réseau public contribue à améliorer la réussite scolaire des élèves, autant dans le secteur public que dans le réseau des écoles à charte(14). Le Québec pourrait s’inspirer des expériences internationales dans ce domaine. Même à l’intérieur du réseau public, il serait possible d’instaurer un peu de concurrence en laissant les parents choisir l’école qui convient le mieux à leurs enfants.

Il serait également possible d’accorder plus d’autonomie aux écoles. Pourquoi, par exemple, ne pas leur permettre d’embaucher les enseignants et de choisir le matériel pédagogique? Encore une fois, c’est ce qui se passe dans le secteur privé(15). Et pourquoi ne pas laisser aux enseignants, qui sont sur le terrain, découvrir et décider ce qui fonctionne bien avec leurs élèves? Un plus grand rôle dans les décisions peut être une source importante de motivation. La recherche démontre également que l’engagement des enseignants et d’autres facteurs ont plus d’impact sur la réussite scolaire que les critères que l’on a souvent tendance à privilégier au Québec, comme le ratio élèves-enseignant(16).

Des bulletins pour les profs

Un autre aspect qui fait défaut dans le système public tel que nous le connaissons concerne la valorisation du métier d’enseignant. Il existe peu d’incitations à offrir un enseignement de qualité aux élèves ou à s’améliorer. La sécurité d’emploi est presque absolue et le critère de l’ancienneté a préséance sur les autres aux fins des promotions. Cette rigidité génère des effets pervers. La faiblesse relative des étudiants en éducation, dont la cote R est généralement inférieure à celle des étudiants admis dans les autres programmes universitaires(17), indique indirectement que les meilleurs candidats aux études supérieures ne voient pas leur avenir dans l’enseignement.

Il faut donc établir des incitations basées sur la performance et non plus reliées à l’ancienneté, et ramener la possibilité réelle de congédier les professeurs incompétents(18). Des salaires plus élevés, versés aux professeurs qui ont un impact positif important sur la performance de leurs élèves, attireront vers l’enseignement des candidats dynamiques et créeront de l’émulation. Des salaires plus faibles pour ceux qui réussissent moins bien pourront les inciter à aller faire autre chose. Rappelons que dans les 72 commissions scolaires québécoises employant au total 58 000 enseignants permanents, seulement sept d’entre eux ont été congédiés pour incompétence de 2010 à 2015(19).

La mise en place d’incitations à la performance suppose que l’on évalue les enseignants de façon systématique. Des commissions scolaires le font déjà, surtout dans le réseau anglophone. La plupart des enseignants dans le réseau francophone sont évalués lors de leur entrée dans le système, et plus jamais par la suite(20). Or, pour récompenser la performance et sanctionner la médiocrité, il faut pouvoir les mesurer.

Que pensent les Québécois de telles pistes d’amélioration? Selon un sondage Léger publié par l’IEDM en août 2011, 67 % des répondants étaient d’avis que la rémunération des enseignants ne devrait pas être basée uniquement sur l’ancienneté et le niveau de scolarité, mais aussi dépendre de la performance. De plus, selon 87 % d’entre eux, les directions d’école devraient pouvoir congédier les enseignants incompétents(21). Manifestement, des initiatives visant à créer des incitations à la performance et la possibilité de congédier des enseignants incompétents recevraient l’appui du public.

Conclusion

Même si, au cours des dernières décennies, le Québec a fait des pas importants dans la démocratisation de l’éducation, beaucoup de travail reste à accomplir. En lecture, plus de la moitié des Québécois ne possèdent pas les compétences pour leur permettre de « participer pleinement et de manière productive à l’économie d’aujourd’hui, fortement axée sur le savoir »; seulement 11,3 % sont capables d’analyser un texte complexe, d’identifier les arguments et de faire des liens(22). À peine plus de 59 % des Québécois lisent un livre au moins une fois par mois, et 20 % n’en lisent jamais(23). Aussi, dans le secteur public, plus d’un élève sur trois ne termine pas son parcours secondaire à l’intérieur du délai normal de cinq ans(24). Dans certaines commissions scolaires, le décrochage atteint des proportions alarmantes(25). Il y a peu de doutes qu’une partie du blâme revient au secteur éducatif public, qui fait piètre figure par rapport à ce que l’on devrait attendre d’une société moderne.

Il y a peu de thèmes plus importants que l’éducation dans les décisions de politiques publiques. Ne serait-il pas temps de jeter un regard neuf sur nos façons de faire? Une diminution de la bureaucratie, une augmentation de la concurrence et une plus grande liberté de choix pour les parents peuvent toutes contribuer à améliorer la performance du système d’éducation et les perspectives d’avenir de nos enfants.

Références

1. En excluant l’éducation supérieure et les subventions à l’école privée. Calculs des auteurs, voir l’Annexe technique sur le site Web de l’IEDM pour plus de détails. Statistique Canada, Tableau CANSIM 326-0020 : Indice des prix à la consommation, Québec, 2006-2007 à 2015-2016.
2. Ministère des Finances du Québec, Budget 2017-2018, Le plan économique, Éducation et Enseignement supérieur—Un plan pour la réussite : dès la petite enfance et tout au long de la vie, 28 mars 2017, p. 8, 41 et 42.
3. En 2014, les commissions scolaires ont dépensé 8,3 % de leur budget en biens mobiliers et immobiliers, contre 14,6 % pour le secteur privé. Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, Indicateurs de gestion des établissements d’enseignement privés 2013-2014, février 2017, p. 9; Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, Indicateurs de gestion—Commissions scolaires 2013-2014, mars 2017, p. 24; Demande d’accès à l’information, Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, Indices d’état gouvernementaux, février 2017.
4. Voir l’Annexe technique.
5. Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport, Étude des crédits 2013-2014—Demande de renseignements particuliers de l’opposition officielle, Question no 41; Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Étude des crédits 2017-2018—Demande de renseignements particuliers de l’opposition officielle, Questions no 26 et 32. Les statistiques pour 2015-2016 ne sont pas disponibles.
6. Voir l’Annexe technique.
7. Voir l’Annexe technique. Le taux de diplomation et de qualification à l’intérieur de 5 ans est de 60,1 % au Québec dans le secteur public, et de 74,9 % après 7 ans, pour la cohorte débutant en 2008. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, « Diplomation et qualification par commission scolaire au secondaire », édition 2016, 8 février 2017, p. 11.
8. Mathieu Dion, « Le taux de diplomation pire que le laisse paraître Québec », Radio-Canada, 21 avril 2017.
9. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Élèves et parents, Adultes, Métiers semi-spécialisés, Certificats de formation.
10. Voir l’Annexe technique.
11. Dans un sondage mené auprès de 630 professeurs en avril 2017, on apprenait qu’un enseignant sur deux avait vu la direction de son école hausser la note qu’il avait accordée à un élève sans son consentement. Patricia Cloutier, « Des notes modifiées à l’insu des profs », Le Soleil, 27 avril 2017; Tommy Chouinard, « Le ministre de l’Éducation exige la fin des notes gonflées dans les écoles », La Presse, 30 mai 2017.
12. Edward S. Hickcox, « Commission scolaire », Historica Canada, 7 janvier 2012.
13. Youri Chassin et Vincent Geloso, « Abolir les commissions scolaires pour favoriser la réussite des élèves », Le Point, IEDM, 25 août 2016; Robert Gagné, « Les commissions scolaires et la taxe scolaire ont-elles encore une raison d’être? », Note économique, IEDM, 28 février 2007.
14. Lynn Bosetti, A Primer on Charter Schools, Institut Fraser, décembre 2015. Au Canada, la seule province à avoir permis l’ouverture de charter schools est l’Alberta.
15. Youri Chassin et Vincent Geloso, op. cit., note 13.
16. The Economist, « Teaching the teachers », 11 juin 2016.
17. Tommy Chouinard, « Baccalauréat en enseignement: ‘Des candidats trop faibles’ », La Presse, 14 octobre 2015; Université Laval, Admission, Préparez votre dossier, Exigences d’admission, Programmes contingentés en 2017-2018; Université de Montréal, Guide d’admission et des programmes d’études, Éducation préscolaire et enseignement au primaire, Admission et exigences; Université du Québec à Montréal, Étudier à l’UQAM, Baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire, Statistiques d’admission; Université de Sherbrooke, Programmes et admission, 1er cycle, admissibilité, CRC et capacités d’accueil, enseignement au préscolaire et primaire.
18. Nathalie Elgrably-Lévy, « La rémunération au mérite : un outil pour améliorer le système d’éducation », Note économique, IEDM, 14 septembre 2011; Youri Chassin, « Valoriser la profession enseignante en congédiant les enseignants incompétents », Note économique, IEDM, 18 janvier 2016.
19. Youri Chassin, ibid., p. 4.
20. Ibid., p. 2.
21. Léger marketing, Perception des Québécois à l’égard de la rémunération des enseignants, août 2011.
22. Institut de la Statistique du Québec, Rapport québécois du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), décembre 2015, p. 70; OCDE et Statistique Canada, La littératie, un atout pour la vie : Nouveaux résultats de l’Enquête sur la littératie et les compétences des adultes, Éditions OCDE, 2011, p. 44.
23. Ministère de la Culture et des Communications, Enquête sur les pratiques culturelles au Québec 2014 − Faits saillants de l’Enquête, mars 2016, p. 6-13.
24. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, op. cit., note 7, p. 11.
25. Ministère des Finances du Québec, op. cit., note 2, p. 32.​

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