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Textes d'opinion

Le prix de la souveraineté alimentaire

Alors que les négociateurs américains viennent de demander la fin de la gestion de l’offre, certains invoquent la souveraineté alimentaire pour justifier le maintien des tarifs sur les œufs, le lait et la volaille. Ils prétendent en outre que cela permet aux petits agriculteurs de vivre de leurs activités et de protéger les populations locales contre les aléas du commerce mondial, en plus d’être bénéfique pour l’environnement. Est-ce vraiment le cas?

Tendance lourde vers la consolidation

Au moment où la gestion de l’offre a été mise en place au tournant des années 1970, on dénombrait un peu moins de 125 000 fermes laitières au Canada. Aujourd’hui, plus de 91 % de ces fermes ont disparu, alors qu’on en dénombre à peine 10 900. Parallèlement, on observe une augmentation de la taille moyenne des fermes. Ce rythme de consolidation est d’ailleurs comparable à celle qui a affecté les fermes qui ne sont pas soumises à ce système et qui représentent 92 % de l’ensemble des fermes au Canada. Fait intéressant, cette baisse du nombre de producteurs laitiers au pays suit la même tendance que celle observée aux États-Unis, où un tel système n’existe pas. La consolidation des fermes est donc un phénomène lourd, inévitable et même bénéfique puisqu’il permet aux agriculteurs d’engendrer des économies d’échelle qui réduisent leurs coûts de production. Ultimement, ce sont les consommateurs qui en profitent par des prix plus bas.

Une plus grande insécurité alimentaire

Peu importe leur nature, toutes les productions agricoles sont périodiquement victimes des aléas climatiques et des problèmes liés aux insectes et à différentes maladies. Historiquement, les échanges interrégionaux ont permis de répartir les risques inhérents aux productions agricoles en acheminant les surplus de certaines régions vers d’autres où les récoltes ont été mauvaises, prévenant par le fait même une hausse autrement plus rapide des prix dans les régions en difficulté. Paradoxalement, la souveraineté alimentaire entraîne des risques beaucoup plus élevés en plaçant presque tous ses œufs dans le même panier géographique.

L’appauvrissement des populations locales

Bien que d’autres facteurs entrent en compte, la spécialisation régionale des productions agricoles résulte essentiellement des avantages respectifs de différentes régions en matière de qualité des sols et du climat. Promouvoir la consommation de denrées locales non concurrentielles implique donc obligatoirement plus d’intrants (eau, engrais, pesticides, serres chauffées, etc.) et de surfaces agricoles pour pallier des conditions moins favorables, ce qui se traduit par des prix beaucoup plus élevés. Le gain économique de l’agriculteur non concurrentiel se fait donc aux dépens des consommateurs, qui doivent payer plus cher pour un produit similaire, ou le même prix pour un produit de moindre qualité.

La souveraineté alimentaire a aussi pour corollaire l’absence d’exportations, ce qui causerait des pertes économiques importantes. En effet, le Canada est un des plus grands exportateurs de produits agricoles au monde, et la prospérité de la plupart des agriculteurs dépend de leur accès aux marchés mondiaux. Par exemple, les agriculteurs canadiens produisaient près de neuf tonnes de soya pour chaque tonne consommée au Canada. Au total, les exportations canadiennes pour les principaux produits agricoles totalisaient 25,3 milliards $ en 2016, soit cinq fois plus que les importations.

Les dommages environnementaux

L’argument selon lequel une plus grande production locale réduirait les émissions de gaz à effet de serre (GES) ne tient pas non plus la route, car la production a un impact beaucoup plus important sur ce plan que le transport. Par exemple, aux États-Unis, une étude estime que 4 % des émissions totales de GES associées à la nourriture proviennent du transport sur de longues distances, tandis que la production des aliments en représente 83 %.

Produire autant que possible dans les zones où les conditions sont les plus favorables permettrait donc, malgré de plus grandes distances parcourues, de réduire bien davantage les GES que l’agriculture de proximité. Le prix des aliments, bien qu’imparfait en raison de nombreuses mesures politiques qui encouragent l’inefficacité (subventions, quotas, tarifs, etc.), donne généralement une idée beaucoup plus juste de l’impact environnemental des productions agricoles que leur lieu d’origine, car il tient compte de tous les coûts de production.

Loin d’être bénéfiques, la souveraineté alimentaire et l’agriculture de proximité entraînent au contraire de plus grands dommages environnementaux, un appauvrissement des populations locales et une sécurité dans l’approvisionnement bien moindre que la libéralisation du commerce agricole.

Alexandre Moreau est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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