Caribou forestier : il faut aussi tenir compte des emplois en région
Les provinces, dont le Québec, doivent présenter cette semaine leur plan de rétablissement pour le caribou forestier. L’application intégrale des exigences d’Ottawa réduirait considérablement les volumes de bois disponibles pour la récolte. Cela pourrait entraîner des pertes de 740 millions $ pour l’industrie forestière et mettre en péril près de 5700 emplois au Québec seulement, soit au Saguenay–Lac-Saint-Jean, sur la Côte-Nord et dans le Nord-du-Québec.
Au Québec, l’atteinte des objectifs du plan pourrait permettre de sauvegarder près de 80 caribous forestiers par année. Autrement dit, nous devrions sacrifier 72 emplois par année pour la sauvegarde très incertaine d’un seul caribou, ce qui représente un coût de 9,4 millions $ par caribou potentiellement sauvé.
Des coûts en hausse
En 2015, nous avions estimé les coûts totaux de telles mesures à près de 370 millions $, et la perte d’emplois à 2900. Depuis, Québec a rendu publics des documents dans lesquels on a détaillé l’impact sur les volumes de bois disponibles à la récolte. C’est tout à l’honneur du gouvernement du Québec de faire preuve d’une grande transparence, ce qui n’est pas le cas dans les autres provinces. Par contre, il s’avère que notre estimation de 2015, qui pouvait sembler alarmiste, était en fait trop prudente et que les coûts seront significativement plus élevés.
Uniquement pour la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’application intégrale des nouvelles exigences aurait pour effet de réduire les volumes disponibles pour la récolte de près de 25 %. En termes d’activité économique, cela représente une perte de 261 millions $ et de 1762 emplois directs, soit un coût de 11,3 millions $ par caribou potentiellement sauvé.
Certaines mesures d’atténuation, comme des fusions d’unités d’aménagements et une modification de la limite nordique ont été ou seront mises en œuvre au Saguenay–Lac-Saint-Jean d’ici avril 2018, mais elles seront loin d’être suffisantes pour compenser les pertes. De plus, le Saguenay–Lac-Saint-Jean et la Côte-Nord ont été particulièrement affectés par l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette, ce qui rendra plus difficile l’atténuation des effets négatifs du plan caribou. À ces éléments s’ajoute la forte demande pour les produits forestiers, qui réduira davantage la quantité de bois disponible pour alimenter les usines.
Les options de Québec
Avant d’aller de l’avant avec des mesures aussi contraignantes, le gouvernement du Québec doit être certain de disposer de toute l’information nécessaire. Or, il reste beaucoup d’incertitude quant au nombre de caribous occupant les territoires forestiers sous exploitation, d’une part, et à l’efficacité des mesures actuellement en place, d’autre part. En effet, les nombreuses mesures de protection déjà en place occasionnent elles aussi des pertes économiques importantes, soit plus de 2000 emplois directs et près de 260 millions $.
Le gouvernement du Québec a plusieurs scénarios à sa disposition dans la mise en œuvre des nouvelles directives fédérales. Par exemple, il serait possible de cibler les efforts de protection de l’habitat du caribou forestier aux endroits où les populations ont la plus grande probabilité de survie et de limiter ainsi leur impact économique. Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, cela ferait passer le coût économique de 261 à 86 millions $, et de 741 à 400 millions $ en tout pour les trois régions concernées.
En somme, un plan de rétablissement du caribou forestier tenant compte des trois piliers du développement durable, soit l’environnement, le social et l’économie, doit cibler les forêts où la survie du caribou forestier est la plus probable afin de limiter l’impact sur les communautés locales, fortement dépendantes de l’industrie forestière. On a tendance à l’oublier, mais la Loi sur les espèces en péril exige aussi que l’aspect économique soit considéré dans la mise en œuvre des mesures de protection de l’habitat des espèces.
Alexandre Moreau est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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