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Pour des politiques environnementales adaptées à nos régions

Note économique montrant que les communautés en région assument souvent une part plus importante du coût des mesures visant à atténuer les dommages environnementaux

Depuis plusieurs années, les gouvernements multiplient les mesures destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre pour lutter contre les changements climatiques. Cette Note économique analyse dans quelle mesure ces politiques publiques ont un impact disproportionné sur les régions rurales du pays comparativement aux centres urbains, alors que les revenus en région sont en moyenne 16 % inférieurs à ceux des grands centres.

En lien avec cette publication

Instaurer des politiques environnementales sans pénaliser nos régions (Le Journal de Montréal, 2 septembre 2021)

La taxe carbone au détriment des régions comme Vaudreuil-Soulanges (NéoMédia, 2 septembre 2021)

Reducing our emissions without penalizing rural regions (iedm.org, 6 septembre 2021)

Entrevue (en anglais) avec Krystle Wittevrongel (The Roy Green Show, Global Radio, 4 septembre 2021)

 

Cette Note économique a été préparée par Olivier Rancourt, économiste à l’IEDM, Krystle Wittevrongel, analyste en politiques publiques à l’IEDM, et Miguel Ouellette, directeur des opérations et économiste à l’IEDM. La Collection Environnement de l’IEDM vise à explorer les aspects économiques des politiques de protection de la nature dans le but d’encourager des réponses à nos défis environnementaux qui présentent le meilleur rapport coût-efficacité.

Le débat sur les changements climatiques porte généralement sur les disparités entre les pays et à l’échelle mondiale(1), du fait que les répercussions sont régressives, se répercutant plus lourdement sur les pauvres(2). Mais cela est également vrai au sein même d’un pays, voire d’une province. Les Canadiens et les Canadiennes vivant en région sont plus durement touchés par les changements climatiques qui se manifestent par une hausse des températures, une modification de la configuration des précipitations et des conditions météorologiques extrêmes(3). Les habitants des régions touchent également des revenus généralement inférieurs de 16 % à ceux de leurs homologues urbains, en plus de connaître des taux de chômage plus élevés et une croissance des revenus plus lente que dans les zones urbaines(4). Malheureusement, outre le fait que les régions subissent plus durement les conséquences des changements climatiques, elles assument aussi bien souvent une part plus importante du coût des politiques et mesures publiques visant à atténuer les dommages environnementaux.

Les politiques publiques visant à lutter contre les changements climatiques et autres fléaux environnementaux ont le potentiel d’amplifier les inégalités entre les zones rurales et urbaines du Canada. Ces politiques doivent faire l’objet d’une analyse coûts-avantages rigoureuse pour pouvoir prendre la pleine mesure des conséquences inattendues que celles-ci peuvent avoir sur le développement économique et le bien-être des communautés en général, notamment en milieu rural. Les enjeux comme celui du réchauffement climatique doivent certes être abordés. Toutefois, les politiques environnementales ne doivent pas être élaborées dans le seul intérêt des citoyens urbains; elles doivent tenir compte des réalités uniques auxquelles sont confrontés les habitants de nos régions.

Nous présentons ici trois aspects des politiques publiques environnementales canadiennes qui amplifient les inégalités entre les zones rurales et urbaines. En premier lieu, nous abordons la question des effets disproportionnés des systèmes de tarification du carbone lorsque ceux-ci ne sont pas adéquatement structurés. Nous nous penchons ensuite sur le moratoire sur l’exploitation du gaz naturel dans la province de Québec, lequel se fait surtout ressentir dans les régions rurales où se trouve cette ressource. Et finalement, nous considérons la surréglementation qui nuit à la réaffectation des projets pétroliers et gaziers en Alberta, contribuant ainsi aux disparités économiques de la province.

Selon le gouvernement fédéral canadien, « [u]n pays ne peut prospérer que si ses collectivités rurales connaissent le succès, qu’elles sont concurrentielles et que leurs habitants s’y épanouissent »(5). Afin d’assurer de meilleures perspectives économiques aux communautés rurales et de réduire les effets négatifs sur les populations plus pauvres, il convient de repenser ce type de réglementation.

Les effets disproportionnés de la taxe sur le carbone

En 2016, le gouvernement fédéral a annoncé son plan de tarification du carbone en vue d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES)(6) et, en 2018, la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre a été adoptée(7). Cette Loi prévoit l’application d’une taxe fédérale sur le carbone au sein des quatre provinces qui ne disposaient pas d’une taxe provinciale sur le carbone à ce moment-là, ainsi qu’un seuil de référence minimum pour les autres provinces dans le cadre de leur programme de taxe sur le carbone(8). Le modèle pancanadien pour la tarification de la pollution par le carbone prévoit une tarification en fonction des émissions de GES, soit par le biais d’un système explicite fondé sur les tarifs (une taxe sur le carbone comme celle de la Colombie-Britannique), soit par le biais d’un système de plafonnement et d’échange (comme celui du Québec(9)). Le modèle établit essentiellement un prix minimum imposé par le biais de taxes sur l’ensemble des sources d’émissions de carbone au Canada, et prévoit des augmentations annuelles de la tarification(10).

Les recettes provenant de la taxe fédérale sur le carbone relèvent de la compétence provinciale et doivent être versées à la province d’origine, laquelle décide de la façon dont elles seront utilisées(11). Les taxes sont redistribuées aux résidents au moment de leur déclaration de revenus sous la forme de paiements exonérés d’impôt dans le cadre de l’Incitatif à agir pour le climat. Les paiements varient en fonction d’un certain nombre de facteurs, dont la ruralité(12). Les habitants des régions rurales peuvent demander un supplément de 10 % en considération de leurs besoins spécifiques. Toutefois, les provinces dotées de leur propre système de taxe sur le carbone, comme la Colombie-Britannique et le Québec, sont exemptes de la taxe fédérale. Ainsi, le Québec peut continuer à utiliser son mécanisme actuel de tarification du carbone qui, contrairement au système fédéral, n’est ni fiscalement neutre(13) ni modulé en fonction du coût de la vie(14). Plus concrètement, il ne tient pas compte de la réalité des citoyens des régions rurales, lesquels représentent près de 20 % de la population(15).

Si la plupart de ces frais sont à la charge des producteurs, ce sont finalement les consommateurs qui en paient le prix. L’objectif est de modifier les comportements et d’encourager les consommateurs et les producteurs à privilégier les produits qui émettent moins de GES en augmentant les prix des produits de substitution qui en émettent plus. Or, ce ne sont pas tous les produits courants qui présentent une solution de rechange accessible. Prenons l’exemple du carburant de transport. À partir de 2022, la taxe sur le carbone devrait à elle seule faire augmenter le prix de ce carburant au Québec de 11,63 cents du litre(16).

Bien que cette politique ne semble pas nuisible à première vue, il faut comprendre que le carburant est un bien très inélastique pour la majorité des gens(17). Cela signifie qu’une variation du prix d’un bien ne sera pas suivie par une variation équivalente de sa demande. En l’occurrence, l’augmentation du prix du carburant ne réduira pas de manière importante la consommation de carburant.

Cette inélasticité s’explique par le peu de solutions de rechange à l’utilisation de l’automobile dans les zones moins densément peuplées. Au Québec, 99 % des déplacements en transport en commun sont assurés par dix sociétés de transport(18). Comme de nombreuses personnes n’ont pas les moyens de remplacer leur voiture par un modèle électrique ou plus écoénergétique, les répercussions de la taxe sur le carbone varient selon les régions. Certaines régions plus riches (voir la Figure 1) ou disposant d’un meilleur accès à des réseaux de transport en commun plus efficaces peuvent s’adapter à cette hausse de prix en conséquence, tandis que celles qui ont moins de solutions de rechange disposent d’une capacité d’adaptation réduite et sont donc contraintes de payer des prix plus élevés.

Par conséquent, dans de nombreuses régions rurales, la tarification du carbone ne réduira pas la demande de la même manière que dans les centres urbains, même avec la même hausse de prix. Elle ne fera qu’augmenter les dépenses des consommateurs en région qui disposent de moins d’options en matière de transport. Par ailleurs, le transport consomme déjà une plus grande proportion des dépenses des ménages en milieu rural(19). Des villes comme Montréal et Laval, qui bénéficient d’un réseau complet de transport en commun, comptent moins de véhicules motorisés par habitant que les régions rurales où l’accès au transport en commun est limité (voir le Tableau 1)(20).

Dans les régions agricoles, les agriculteurs ont également besoin de carburant pour alimenter leurs tracteurs et autres véhicules à moteur, ce qui alourdit davantage le fardeau de la taxe sur le carbone. Comme les agglomérations urbaines tendent à être plus prospères que les régions rurales, les écarts de richesse entre les régions risquent de s’accentuer. Dans sa forme actuelle, le mécanisme de tarification du carbone du Québec exerce donc une pression plus forte sur les régions les plus pauvres que sur les régions les plus riches.

Une solution simple à ce problème de tarification consisterait à moduler le coût de cette taxe québécoise sur le carbone en fonction du degré de ruralité des contribuables. Bien que cette proposition permette de réduire le fardeau financier des ménages en région rurale, l’objectif de la taxe – à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre – resterait inchangé. Autrement dit, cette nouvelle tarification serait plus équitable et tiendrait compte des disparités régionales attribuables aux circonstances uniques des habitants des régions rurales, tout en continuant de contribuer à la réalisation des objectifs environnementaux de la province.

Il importe également que la taxe sur le carbone soit fiscalement neutre. Les recettes d’une taxe sur le carbone neutre sur le plan fiscal sont entièrement redistribuées aux contribuables ou aux entreprises par le biais de remboursements d’impôts, à l’instar du système fédéral de taxe sur le carbone. De cette manière, les effets de la taxe sur les contribuables sont moindres, alors que les consommateurs sont incités à délaisser les produits qui émettent davantage de GES. La tarification du carbone au Québec n’est toutefois pas neutre sur le plan des revenus(22). Tous les revenus générés par la taxe sur le carbone sont versés au Fonds d’électrification et de changements climatiques(23), lequel est consacré en partie à la subvention de biens plus propres, ce qui crée encore davantage de distorsions sur le marché.

Le système fédéral de neutralité des revenus générés par la taxe sur le carbone n’est toutefois pas parfait. Comme le montre la Figure 2, la taxe ne touche pas toutes les régions rurales du Québec dans une même mesure et, par conséquent, même avec un supplément de 10 % en faveur des résidents ruraux, comme l’offre le gouvernement fédéral, des désavantages subsisteraient au sein des régions qui paient une part plus importante de la taxe en moyenne.

Par conséquent, des variables telles que le lieu de résidence réel (par aire de diffusion(25)) et le revenu des consommateurs doivent être prises en compte lors de la mise en œuvre d’une taxe sur le carbone fiscalement neutre. Dans sa forme actuelle, le système québécois de tarification du carbone fait piètre figure du fait qu’il intensifie les écarts économiques entre les habitants des régions et ceux des agglomérations urbaines.

Le moratoire sur le gaz naturel au Québec

Une autre façon de réduire les écarts économiques de manière générale serait de favoriser la création d’emplois et de richesse dans les régions plus pauvres. Les réserves de gaz naturel de la province de Québec sont estimées à entre 2800 et 8500 milliards de mètres cubes(26). À titre indicatif, cela pourrait remplir entre 2,8 et 8,5 milliards de piscines olympiques(27). Ces réserves sont principalement situées dans les basses-terres du Saint-Laurent, au sein d’une formation géologique nommée le Shale d’Utica, ainsi que dans la formation de Macasty, près de l’île d’Anticosti, et en Gaspésie. Comme on peut le voir à la Figure 3, ce sont là autant de régions considérées comme rurales.

Malgré ces importantes réserves, un moratoire de cinq ans sur les activités de fracturation a été mis en place en 2013(28). En 2016, l’interdiction a été prolongée(29) et le gouvernement québécois a interdit tout forage gazier nécessitant une fracturation du schiste(30) ou se trouvant à proximité d’un plan d’eau(31). Le motif officiel de ce moratoire est là encore de lutter contre les changements climatiques en réduisant les émissions de GES.

On estime que la levée des restrictions sur le gaz naturel pendant une période de 25 ans permettrait à la province d’engranger près de 15 milliards de dollars en recettes fiscales et en redevances minières, de réaliser un gain total de PIB de 93 milliards de dollars(32) et de créer des emplois pour l’équivalent de 230 000 années-personnes(33). Une année-personne est un terme comptable qui correspond à la quantité de travail qu’une personne peut accomplir en un an(34). Autrement dit, la levée des restrictions liées à la production et à l’extraction de gaz naturel pendant 25 ans générerait suffisamment de main-d’œuvre pour qu’une personne puisse travailler pendant 230 000 années, pour prendre un exemple extrême. En termes plus réalistes, ces obstacles réglementaires empêchent la création de 25 années de travail pour 9200 personnes.

Qui plus est, la plupart de ces emplois seraient créés dans les régions à forte densité gazière, c’est-à-dire les régions semi-rurales situées dans le Shale d’Utica, comme la Montérégie, le Centre-du-Québec et Chaudière-Appalaches(35), et dans les régions rurales disposant de réserves importantes, comme la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent(36).

Une grande partie de ces emplois, et la création de richesse qui en découle, se trouverait donc dans les régions défavorisées de la province, plus précisément en région. L’une des régions qui en bénéficieraient le plus est la Gaspésie, qui affiche un taux de chômage moyen de 13,5 % ces cinq dernières années, alors que le taux provincial est de 6,3 %. La situation est encore pire si l’on considère qu’en raison du vieillissement de la population et de l’exode des jeunes, le taux d’emploi moyen au cours de cette même période n’a été que de 45,6 %, alors que la moyenne provinciale est de 60,6 %(37).

En interdisant la fracturation, le gouvernement a fait obstacle au développement économique et à la création de richesse dans les régions moins prospères de la province. Les régions rurales fortement axées sur l’exploitation des ressources, comme l’Abitibi-Témiscamingue, la Côte-Nord et le Nord-du-Québec, surpassent les agglomérations urbaines et la moyenne provinciale sur le plan du PIB par habitant.

De plus, la récente décision du gouvernement québécois de rejeter(38) le projet Énergie Saguenay de GNL Québec, « un projet de construction d’un complexe de liquéfaction de gaz naturel carboneutre »(39), représente une contrainte supplémentaire à la croissance économique des régions rurales québécoises. Ce projet aurait représenté le plus important investissement privé de l’histoire de la province(40), créé des milliers d’emplois dans la région du Saguenay(41) et contribué à la réduction des émissions mondiales de GES(42). Sans oublier que les résidents de la région et les représentants municipaux appuyaient le projet. Cette décision est d’autant plus décevante que le Saguenay a un PIB par habitant bien inférieur à la moyenne provinciale et un taux de chômage qui a constamment été parmi les plus élevés de la province au cours des dernières années(43).

Pire encore, laisser le gaz naturel dans le sol ne fera que retarder l’abandon progressif des centrales électriques au charbon dans les pays qui pourraient utiliser nos ressources plus propres à la place. Ainsi, à la différence des taxes sur le carbone, le moratoire du gouvernement québécois sur le gaz naturel et son rejet du projet d’infrastructure de gaz naturel liquide ne permettent même pas d’atteindre un objectif environnemental clair, quel qu’il soit. En réglementant à outrance le secteur du gaz naturel dans la province, le gouvernement a perdu une occasion d’accroître la prospérité générale et la création d’emplois en région, en plus de combler le fossé qui sépare les régions plus pauvres des régions plus riches de la province, et ce, sans objectif précis.

Le dédale réglementaire de la réaffectation des infrastructures pétrolières et gazières en Alberta

La mauvaise coordination réglementaire et le flou politique qui entourent la réaffectation des projets pétroliers et gaziers en Alberta représentent un autre domaine au sein duquel la réglementation a contribué aux disparités économiques intraprovinciales, et cela encore, sans aucun avantage environnemental clair. Puisque la responsabilité de cet état de fait incombe à plusieurs organismes de réglementation, ceux-ci doivent collaborer avec le gouvernement provincial afin d’implanter des solutions pour modifier la réglementation qui, historiquement, a freiné le progrès(44).

Le régime actuel permet la remise en état et la réhabilitation, mais ne permet pas la réaffectation des terres(45). Afin que cet enjeu cesse de s’enliser dans la bureaucratie, une approche processus – plutôt qu’une multitude de nouvelles réglementations – est nécessaire.

Il y a environ 97 000 puits inactifs et 71 000 puits abandonnés en Alberta, ce qui pose de sérieux risques environnementaux, financiers et sanitaires aux propriétaires fonciers albertains(46). Comme l’exploitation pétrolière et gazière se fait presque exclusivement en région, les propriétaires ruraux sont injustement affectés par les répercussions et les coûts engendrés par ces infrastructures inactives(47).

Plusieurs de ces sites pourraient être réaffectés par des entrepreneurs du secteur des énergies de remplacement, dont la géothermie, les microprojets solaires, l’hydrogène, la récupération du lithium ou d’autres minéraux et le captage et stockage du carbone(48). La réaffectation de ces sites a non seulement la possibilité de les rendre à nouveau productifs, mais l’expansion des ressources pétrolières et gazières existantes permettrait potentiellement de redéployer les travailleurs qui ont souffert de la crise du pétrole et du gaz et de créer de l’emploi, et ce, spécifiquement en régions rurales.

Des efforts ont été déployés par bon nombre d’entreprises pour réaffecter des structures existantes, mais elles se sont heurtées à des obstacles réglementaires. À titre d’exemple, on a mis plus de cinq ans à mettre sur pied un projet de réaffectation d’anciennes infrastructures pétrolières et gazières à l’énergie solaire communautaire en raison de réglementations excessives(49). Ainsi, pendant cinq ans, les Albertains vivant en milieu rural ont été privés de l’occasion de progresser sur le plan économique et environnemental. Une autre entreprise a tenté de réaffecter des infrastructures existantes à l’énergie géothermique. Mener à bien la négociation sinueuse des réglementations visant une initiative qui avait comme objectif de minimiser l’impact environnemental en réaffectant des infrastructures existantes a pris plus de temps qu’il en aurait fallu pour entamer un tout nouveau projet(50).

Ces sites, qui se trouvent sur des friches industrielles, réduisent le besoin de développer de nouveaux espaces verts. De plus, en raison de facteurs tels le raccordement au réseau électrique, les routes et les autres infrastructures déjà en place, la réaffectation de ces sites peut atténuer l’impact environnemental(51). Mais les entrepreneurs du secteur de l’énergie ont été incapables de mettre à profit l’occasion de créer de l’emploi et de participer à la diversification de leur secteur, en raison de l’inflexibilité de la réglementation qui ne permet pas la réaffectation des sites, ainsi que du manque de clarté et de collaboration entre les organismes de réglementation(52). Par voie de conséquence, plutôt que transformer passif en actif, les propriétaires fonciers ruraux et les agriculteurs en paient le prix.

Environ 10 % des puits inactifs laissent échapper des polluants, ce qui impose un fardeau considérable aux communautés rurales avoisinantes(53). D’une part, ces sites peuvent avoir un impact négatif sur la valeur des propriétés et affecter les possibilités de vente et de développement(54). Par exemple, la petite ville de Calmar, située à environ 50 km au sud-ouest d’Edmonton, détient 130 acres de terrains de premier ordre qu’elle désirerait développer. Les terrains sont adjacents à une voie ferrée et sont situés tout près de l’autoroute principale(55). Ce projet permettrait non seulement d’attirer une industrie moderne dans la région, mais aussi de créer des centaines d’emplois. En raison du niveau de contamination inconnu, cependant, les promoteurs se tiennent à l’écart de la propriété à risque, qui est vacante depuis des décennies(56).

De plus, les puits inactifs ou orphelins qui sont situés sur des terres agricoles peuvent avoir un impact négatif sur la capacité des fermes à attirer et à fidéliser des distributeurs et des clients puisque la contamination potentielle du sol, réelle ou apparente, peut avoir des répercussions sur la compétitivité commerciale(57). De plus, les agriculteurs sont susceptibles de prendre des décisions en fonction d’une contamination potentielle, renonçant par le fait aux cultures spécialisées lucratives(58).

Bien que ces coûts soient sans doute énormes, ils demeurent difficilement quantifiables. Les craintes entourant la dépréciation des terres en raison de puits orphelins ou de contamination, ou encore le risque de perdre une compensation pour des puits existants s’ils en parlent publiquement, font en sorte que de nombreux agriculteurs et autres citoyens ruraux n’osent pas aborder ces enjeux(59).

En plus de la possibilité très réelle de la contamination des cultures et des autres enjeux touchant à l’agriculture, ces communautés sont exposées à une contamination potentielle du sol et de l’eau pouvant s’accumuler dans les zones avoisinantes et poser des risques pour la santé(60). De fait, les Albertains attribuent certains problèmes de santé chroniques et même des décès aux fuites provenant de puits orphelins(61).

Les conséquences négatives du fardeau réglementaire associé à la réaffectation de ces puits orphelins pèsent forcément plus lourdement sur les communautés rurales. La diversification du secteur de l’énergie et le développement d’énergies de remplacement aideront à minimiser les impacts environnementaux et sanitaires sur les communautés rurales, en plus de réduire le risque de dépréciation des terres, ce qui pourrait effectivement augmenter le rendement des agriculteurs et encourager le passage aux cultures spécialisées lucratives.

Faire progresser la lutte contre les changements climatiques

Bien que l’enjeu des changements climatiques doive être abordé, les politiciens ne devraient pas avoir carte blanche lorsqu’il s’agit de politiques publiques environnementales. Ces politiques publiques ne doivent pas être pensées avec uniquement le citoyen urbain en tête, et elles devraient avoir une visée environnementale claire qui justifie leurs coûts. Comme nous l’avons démontré, la tarification du carbone et la réglementation excessive du gaz naturel au Québec ont creusé le fossé économique entre les communautés rurales et urbaines, de la même manière que le fardeau réglementaire touchant à la réaffectation des puits pétroliers et gaziers en Alberta a pénalisé les communautés rurales.

Un cinquième de tous les Canadiens vivent, travaillent et prospèrent au sein de nos régions(62) et la consultation avec ceux-ci a mis en lumière l’importance de s’assurer que les politiques publiques gouvernementales répondent à leurs besoins spécifiques, tout en nous protégeant contre les changements climatiques(63). Conséquemment, les règlements examinés ci-dessus doivent être amendés en fonction des coûts inhérents aux communautés rurales tout en fournissant des occasions économiques et en réduisant les disparités intraprovinciales. De plus, toute réglementation qui ne tient pas la route à la suite d’une analyse coûts-avantages rigoureuse devrait simplement être abandonnée.

Références

  1. Noah S. Diffenbaugh et Marshall Burke, « Global warming has increased global economic inequality », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 116, no 20, 2019, p. 9808.
  2. Emmanuel Skoufias (ed.), The Poverty and Welfare Impacts of Climate Change: Quantifying the Effects, Identifying the Adaptation Strategies, The World Bank, 2012, p. 6.
  3. Amy Kipp et al., « Aperçu – Les effets des changements climatiques sur la santé et le bien-être dans les régions rurales et éloignées au Canada : synthèse documentaire », Promotion de la santé et prévention des maladies chroniques au Canada, vol. 39, no 4, avril 2019, p. 122.
  4. Sébastien Breau et Richard Saillant, « Regional income disparities in Canada: exploring the geographical dimensions of an old debate », Regional Studies, Regional Science, vol. 3, no 1, 28 novembre 2016, p. 468; Gouvernement du Canada, Possibilités rurales, prospérité nationale : une stratégie de développement économique du Canada rural, juin 2019, p. 5.
  5. Gouvernement du Canada, ibid., p. 3.
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  8. Ces quatre provinces sont le Manitoba, l’Ontario, la Saskatchewan et le Nouveau- Brunswick. À l’heure actuelle, le filet de sécurité fédéral est en place au Manitoba, en Ontario, au Yukon et au Nunavut. Gouvernement du Canada, Environnement et ressources naturelles, Changements climatiques, Plan climatique canadien, Tarification de la pollution par le carbone, Les systèmes de tarification de la pollution par le carbone au Canada, consulté le 13 juillet 2021.
  9. Les systèmes fondés sur les tarifs, comme celui de la Colombie-Britannique, imposent un prix direct sur chaque tonne d’émissions résultant de la combustion de combustibles fossiles. Les systèmes de plafonnement et d’échange comme celui du Québec voient le gouvernement imposer une limite à la quantité globale d’émissions de carbone tout en permettant aux entreprises qui dépassent leur quota d’acheter des crédits d’émission à des entreprises dont le quota est inutilisé. Gouvernement du Canada, Environnement et Changement climatique Canada, Approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone, consulté le 16 juillet 2021.
  10. Gouvernement de Canada, Environnement et ressources naturelles, Changements climatiques, Plan climatique canadien, Tarification de la pollution par le carbone, Les systèmes de tarification de la pollution par le carbone au Canada, Le modèle fédéral de tarification de la pollution par le carbone, consulté le 16 juillet 2021.
  11. Gouvernement du Canada, Environnement et ressources naturelles, Changements climatiques, Plan climatique canadien, Tarification de la pollution par le carbone, Les systèmes de tarification de la pollution par le carbone au Canada, Fonctionnement de la tarification du carbone, consulté le 13 juillet 2021.
  12. Idem.
  13. Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, Changements climatiques, Marché du carbone, consulté le 13 juillet 2021.
  14. Idem. La Californie et le Québec ont tous deux un marché du carbone et mettent aux enchères le « droit de polluer » par le biais de la même vente aux enchères. Ainsi, les prix obtenus au Québec sont influencés par ceux de la Californie.
  15. Lucie Jeudy, « Population distribution of Quebec in 2016, by rural/urban type », Statista, 6 juillet 2021.
  16. Hélène Buzzetti, « L’impact sur les consommateurs de la taxe carbone est chiffré », Le Devoir, 19 mai 2017.
  17. Martijn Brons et al., « A Meta-analysis of the Price Elasticity of Gasoline Demand. A SUR Approach », Energy Economics, vol. 30, no 5, septembre 2008, p. 2113-2114.
  18. Association du Transport Urbain du Québec, page d’accueil, consulté le 21 juin 2021.
  19. Jeff Marshall et Ray D. Bollman, « Les régimes de dépenses des ménages ruraux et urbains, 1996 », Rural and Small Town Canada Analysis Bulletin, Statistique Canada, vol. 1, no 4, 1999, p. 4.
  20. Calculs des auteurs. Banque de données des statistiques officielles sur le Québec, Statistiques et publications, Transport, utilisateurs et infrastructure, Transport routier, Nombre de véhicule en circulation selon le type d’utilisation et le type de véhicule, Québec, région administratives et municipalité de résidence du propriétaire du véhicule, consulté le 15 juillet 2021; Institut de la statistique du Québec, Statistiques, Par thèmes, Démographie et population, Population et structure par âge, Population et structure par âge et sexe – Régions administratives, Tableaux détaillés, Estimations de la population des régions administratives, Québec, 1er juillet 1986 à 2020, consulté le 15 juillet 2021.
  21. Il existe une faible proportion de véhicules motorisés qui ne sont enregistrés dans aucune région (0,42 %, soit 28 241 sur un total de 6 697 819). Par conséquent, les calculs sont effectués séparément pour les régions et la moyenne provinciale.
  22. Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques du Québec, op. cit., note 13.
  23. Idem.
  24. À partir des données provinciales de consommation brute de carburant de Statistique Canada, nous avons divisé la consommation de carburant de 2019 par la population pour obtenir la consommation par habitant. Nous avons ensuite multiplié cette moyenne par le nombre de véhicules motorisés par habitant obtenu précédemment (voir Tableau 1). Nous avons ainsi obtenu une consommation moyenne de carburant par habitant (en litres). En multipliant ce chiffre par le coût ajouté de la taxe carbone sur le carburant pour 2022 (11,63 ¢ /litre), nous obtenons le coût additionnel attribuable à l’augmentation de la tarification du carbone dans chaque région.
  25. Une aire de diffusion est la plus petite région géographique normalisée pour laquelle toutes les données du recensement sont diffusées et compte de 400 à 700 personnes réparties dans une ou plusieurs aires de diffusion (surface équivalente à un pâté de maisons). Statistique Canada, « Aire de diffusion : définition détaillée », 17 septembre 2018.
  26. Jed Chong et Milanan Simikian, « Shale Gas in Canada: Resource Potential, Current Production and Economic Implication », Bibliothèque du parlement, 30 janvier 2014, p. 4.
  27. Calculs des auteurs. National Institute of Standards and Technology, Labs & Major Programs, Physical Measurement Laboratory, Divisions, Weights and Measures, Si Units-Volume.
  28. Reuters, « Quebec seeks fracking moratorium in shale gas rich area », 15 mai 2013.
  29. Jillian Kestler-D’Amours, « Quebec to ban shale gas fracking, tighten rules for oil and gas drilling », CBC News, 6 juin 2018.
  30. Loi sur les hydrocarbures, chapitre H-4.2, r. 2, Règlement sur les activités d’exploration, de production et de stockage d’hydrocarbures en milieu terrestre, article 197.
  31. Loi sur les hydrocarbures, chapitre H-4.2, r. 1, Règlement sur les activités d’exploration, de production et de stockage d’hydrocarbures en milieu hydrique, article 1.
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  33. Ibid., p. 65.
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  36. Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles du Québec, Énergie, Hydrocarbures, Portrait des activités au Québec, Exploration en Gaspésie et dans le Bas Saint- Laurent, 2016.
  37. Calculs des auteurs. Les taux moyens de chômage et d’emploi ont été déterminés en excluant les données des années 2020 et 2021 en raison de l’effet de la pandémie sur la population active. Toutefois, les taux moyens de chômage et d’emploi en Gaspésie sur une période de cinq ans qui comprennent les années 2020-2021 varient de moins de 1 %. Gouvernement of Québec, Institut de la statistique du Québec, Statistiques, Par thèmes, Emploi et marché du travail, Population active, emploi et chômage, Population active, emploi et chômage, régions administratives, RMR et Québec, Données mensuelles (Population active, emploi et chômage. Statistiques régionales), Caractéristiques du marché du travail, données mensuelles désaisonnalisées, régions administratives et ensemble du Québec, consulté le 16 juillet 2021.
  38. Radio-Canada, « GNL Québec : le gouvernement rejette le projet », 21 juillet 2021.
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  40. Helene Baril, « Le moment de vérité approche », La Presse, 23 mars 2021.
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  42. Miguel Ouellette et Olivier Rancourt, « Du gaz naturel québécois pour combattre les changements climatiques », Le Journal de Montréal, 23 mars 2021.
  43. Miguel Ouellette, « Énergie Saguenay : un coup dur pour les Québécois », Le Quotidien, 21 juillet 2021.
  44. Marla Orenstein, « Opinion: Old wells, new life and a major economic opportunity », Calgary Herald, 16 avril 2020.
  45. Energy Futures Lab, « New Uses for Inactive Wells », consulté le 23 juillet 2021.
  46. Victoria Goodday et Braeden Larson, The Surface Owner’s Burden: Landowner Rights and Alberta’s Oil and Gas Well Liabilities Crisis, The School of Public Policy Publications, University of Calgary, SPP Research Paper, volume 14:16, mai 2021, p. 2.
  47. Ibid., p. 11.
  48. Energy Futures Lab et Canada West Foundation, The LEAD Project Leveraging our Energy Assets for Diversification, mars 2021, p. 4.
  49. Ibid., p. 6.
  50. Ibid., p. 7.
  51. Marla Orenstein, « Opinion: Repurposing inactive well sites is Alberta’s ultimate recycling project », Calgary Herald, 26 avril 2021.
  52. Energy Futures Lab et Canada West Foundation, op. cit., note 48, p. 5, 11.
  53. Bob Weber, « Abandoned oil and gas wells put unfair burden on Alberta landowners, taxpayers, study says », CBC News, 20 mai 2021.
  54. Victoria Goodday et Braeden Larson, op. cit., note 46, p. 22.
  55. Paul Haber, « Alberta town on the verge of collapse due to aging oil wells », CTV News, 7 novembre 2020.
  56. Idem.
  57. Victoria Goodday et Braeden Larson, op. cit., note 46, p. 21.
  58. Idem.
  59. Barb Glen, « Orphan wells: Alberta’s $47 billion problem », The Western Producer, 22 mars 2018.
  60. Vanessa Corkal, « Who Will Pay for Alberta’s Orphan Wells? », International Institute for Sustainable Development, 26 mars 2020.
  61. Anthony A. Davis, « Bankrupt oil companies are saddling Albertans with ‘orphan wells’ », Maclean’s, 2 mai 2019.
  62. Gouvernement du Canada, op. cit., note 4.
  63. Idem.​
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