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Textes d'opinion

L’entrepreneuriat fait-il une différence en santé?

Quel est l’apport de l’entrepreneuriat en santé? Malgré l’exemple de l’Europe, où l’on fait depuis longtemps une large place aux entreprises tout en assurant une couverture universelle des soins, le simple fait de poser cette question au Québec et au Canada peut susciter de vives réactions.

Pourtant, l’innovation dans tout ce qui nous entoure, des chaussures aux voitures, provient de l’initiative entrepreneuriale. En santé, les innovations sont aussi la plupart du temps le fruit du secteur privé, qu’il s’agisse du matériel pour nous soigner, des médicaments, ou des technologies utilisées. Peut-on mesurer cet apport? Est-il possible d’isoler la «variable entrepreneuriale»? L’exemple québécois des CHSLD peut nous aider à y arriver.

Le Québec compte un peu plus de 400 centres d’hébergement de soins longue durée (ou CHSLD). Ceux-ci accueillent principalement des aînés qui nécessitent plusieurs heures de soins chaque jour. La plupart de ces établissements reçoivent du financement public et sont gérés par l’État. Cependant, à l’intérieur du réseau public, une soixantaine de CHSLD sont dits «privés conventionnés» : ils sont subventionnés par l’État, mais exploités par des entrepreneurs. Au 31 mars 2017, le Québec comptait 317 CHSLD publics et 59 CHSLD privés conventionnés (de même que 39 CHSLD privés non conventionnés, qui ne reçoivent pas de financement public).

Le cas des CHSLD privés conventionnés est intéressant puisque ceux-ci reçoivent le même financement que les établissements publics et sont soumis aux mêmes conditions : la clientèle, les coûts d’hébergement et les conditions de travail y sont les mêmes. Les patients y accèdent par le même guichet régional et versent la même contribution. Ces établissements sont donc parfaitement intégrés au réseau public et le gouvernement du Québec les présente comme tels. La seule différence est leur mode de gestion, qui produit des résultats forts différents pour l’usager et pour l’État.

De meilleurs services…

Les visites d’évaluation de la qualité des milieux de vie dans les CHSLD montrent un écart énorme entre les résultats obtenus par les établissements publics et les privés conventionnés.

Ainsi, parmi les 356 CHSLD visités entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2017, seulement 18 % des établissements publics ont été évalués comme étant «très adéquats» par les représentants du ministère. Quelque 71 % des établissements publics ont été considérés comme offrant un milieu de vie «acceptable», et 12 % ont vu leur milieu de vie qualifié de «préoccupant» (voir la Figure 1).

En contrepartie, les milieux de vie de 64 % des CHSLD privés conventionnés ont été jugés «très adéquats», une proportion presque quatre fois plus élevée que pour les établissements publics. Aucun CHSLD privé conventionné n’a reçu la mention «préoccupant».

(Les CHSLD privés non conventionnés, qui ne reçoivent aucun financement de l’État, doivent rendre les mêmes services avec moins de ressources. Malgré ce désavantage important, leur performance est globalement comparable à celle des CHSLD publics.)

… À moindre coût

En plus d’offrir un meilleur environnement aux patients, les CHSLD privés conventionnés coûtent moins cher à l’État. Une étude réalisée il y a plusieurs années par l’économiste Pierre Fortin avait en effet montré que le coût global par jour de présence était de 12 % plus élevé dans les établissements publics que dans les établissements privés conventionnés. Si on ne considérait que les coûts de fonctionnement (soit en excluant la composante clinique), la différence était alors de 26 %.

L’auteur de l’étude avait évalué que la gestion entrepreneuriale des établissements privés conventionnés faisait économiser 30 millions $ chaque année au trésor public. Il estimait aussi que des économies supplémentaires «minimales» de 125 millions $ auraient pu être réalisées si ce mode de gestion avait été étendu à l’ensemble du réseau des CHSLD, soit près de 200 millions en dollars d’aujourd’hui. Imaginons un instant les sommes qui pourraient être dégagées à l’échelle du réseau hospitalier…

Une solution éprouvée

La performance supérieure des CHSLD privés conventionnés ne surprendra pas ceux qui s’intéressent aux systèmes de santé européens. Au fil des années, on a recensé plusieurs exemples où, à ressources égales, la gestion entrepreneuriale s’est avérée supérieure à la gestion publique en ce qui a trait à la qualité des services rendus. Cela a été le cas en Allemagne, en Espagne, en France et en Suède, notamment.

Bien des choses peuvent être faites pour améliorer la performance de nos systèmes de santé. Une plus grande ouverture à l’entrepreneuriat à l’intérieur des systèmes publics, tout en maintenant la couverture universelle, demeure néanmoins une solution qui a fait ses preuves, ici et ailleurs. Il n’y a aucune raison de ne pas y avoir recours davantage.

Patrick Déry est analyste associé senior à l’Institut économique de Montréal et auteur de « L’entrepreneuriat fait-il une différence en santé? Le cas des CHSLD privés conventionnés ». Il signe ce texte à titre personnel.

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