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Leçons tirées du classement des résultats financiers des premiers ministres du Québec depuis 1944

Note économique examinant les dépenses des anciens gouvernements afin d’apprendre comment revenir à la rigueur budgétaire au lendemain de la pandémie

L’ex-premier ministre Jacques Parizeau remporte la palme de la responsabilité fiscale, selon ce classement des premiers ministres depuis 1944 publié par l’IEDM. La taille de l’État québécois a atteint un sommet historique à 28 pour cent du PIB l’an dernier. François Legault se classe 12e sur 14 premiers ministres sur le plan de la responsabilité fiscale.

En lien avec cette publication

Rigueur budgétaire dans l’histoire: Parizeau devant Couillard (La Presse+, 30 novembre 2022) Entrevue avec Vincent Geloso (Mario Dumont, QUB Radio, 29 novembre 2022)

 

Cette Note économique a été préparée par Vincent Geloso, économiste senior à l’IEDM, professeur adjoint d’économie à l’Université George Mason et membre associé du Center for the Study of Public Choice. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.

Pour l’exercice financier en cours (2022-2023), les dépenses publiques au Québec représentent 26,3 % de l’ensemble de l’économie de la province. Depuis 1926, année où l’on a commencé à publier le produit intérieur brut (PIB) du Québec, seuls deux autres exercices ont dépassé ce chiffre(1) et il s’agit des deux années précédentes : 2020-2021 et 2021-2022. L’ampleur sans précédent de ces dépenses s’explique principalement par la pandémie de COVID, mais maintenant que la crise est en grande partie derrière nous, le moment est venu de revenir à la rigueur budgétaire.

Comment procéder pour atteindre cet objectif? Pour répondre à cette question, il peut être très instructif d’examiner les dépenses des anciens premiers ministres du Québec afin de déterminer quelles sont les périodes de rigueur budgétaire et de voir leurs résultats. En effet, il y a des leçons à tirer de notre histoire.

Classement des premiers ministres

Pour évaluer les résultats financiers des différents premiers ministres du Québec, il faut d’abord rassembler des données reflétant les dépenses publiques. Depuis 2009, le ministère des Finances du Québec fournit des estimations remontant à l’exercice 1970-1971(2). Pour la période de 1944 à 1969, nous nous appuyons sur les travaux de l’historienne de l’économie Ruth Dupré, qui a passé au peigne fin les comptes de dépenses et de recettes et les a organisés selon une méthodologie comptable unique(3). Il faut ensuite transposer l’exercice financier sur l’année civile.

Étape suivante : mesurer l’efficacité budgétaire. Il existe deux façons de procéder. La première consiste à diviser les dépenses publiques par le PIB estimé, qui est disponible à l’échelle provinciale à partir de 1926(4). La seconde consiste à corriger le chiffre des dépenses publiques pour tenir compte de l’inflation(5), puis à diviser ce chiffre par le nombre d’habitants(6).

Les deux mesures ont leurs forces et leurs faiblesses. Les dépenses publiques en pourcentage du PIB reflètent la part des ressources économiques gérées par l’État et constituent la mesure la plus souvent utilisée pour relier le degré d’interventionnisme de l’État et la croissance économique. En général, si les gouvernements prennent une part trop importante (ou trop faible) des ressources économiques, ils ralentissent la croissance(7). Cette mesure revêt donc une importance particulière.

Cependant, ce n’est pas la meilleure mesure pour évaluer la rigueur budgétaire. Par exemple, en période de récession, il arrive que les dépenses publiques restent stables, mais que la baisse du PIB entraîne une augmentation du ratio. Or, pendant les récessions, ce genre d’augmentation représente un fait stylisé prévu par les théories macroéconomiques(8).

Pour cette raison utilise-t-on également le niveau de dépenses par habitant. Cette mesure rend mieux compte des efforts des politiciens pour maîtriser les dépenses, mais elle peut également poser problème si elle est prise isolément. Par exemple, une certaine réduction des dépenses publiques peut être obtenue en gardant les dépenses par habitant au même niveau en période de croissance économique; on peut même les augmenter, tant que l’économie croît plus rapidement. Ainsi, les forces d’une mesure sont les faiblesses de l’autre; d’où l’intérêt de les combiner.

Les séries résultantes sont illustrées à la Figure 1. Comme on peut le constater, il y a eu une augmentation importante des dépenses publiques à partir de la fin des années 1950, augmentation qui s’est interrompue au début des années 1980. Depuis lors, les dépenses du gouvernement provincial en pourcentage de l’économie oscillent entre 22 % et 28 % sans que l’on puisse dégager de tendance claire à la hausse ou à la baisse, tandis qu’en dollars par habitant, elles ont augmenté plus modestement que pendant les années 1960 et 1970.

Ces données étant rassemblées, nous pouvons maintenant créer notre classement des premiers ministres. Pour ce faire, nous prenons la variation moyenne sur l’ensemble de leur mandat. Dans les cas où il y avait deux premiers ministres dans une année (par exemple, Jean Charest et Pauline Marois en 2012), nous avons attribué l’année au premier ministre qui était en poste plus de la moitié de l’année. Nous avons également exclu tous les premiers ministres qui sont demeurés en poste moins d’un an (excluant ainsi quatre mandats de courte durée).

Cela nous donne 14 premiers ministres à classer à partir de 1944. Les résultats figurent au Tableau 1. Les quatre premières colonnes montrent l’évolution du ratio des dépenses publiques par rapport au PIB et l’évolution des dépenses publiques par habitant, ainsi que le classement dans chacune de ces deux catégories. Pour calculer le rang global qui figure dans la cinquième colonne, nous avons utilisé la somme des classements des deux catégories.

Le Tableau nous réserve quelques surprises. Tout d’abord, les premiers ministres qui sont généralement considérés comme rigoureux sur le plan budgétaire, comme Maurice Duplessis (1944-1959) et Jean Charest (2003-2012), sont loin d’être en tête du classement(9). Deuxièmement, certains des champions budgétaires ne sont pas ceux qu’on attendait. Les trois premières places sont occupées par Jacques Parizeau (1994-1996), Phillipe Couillard (2014-2018) et Lucien Bouchard (1996-2001).

Leçons à tirer

Ce classement est riche d’enseignements sur la meilleure manière de revenir à la rigueur budgétaire au lendemain de la pandémie, particulièrement lorsqu’on examine les résultats de deux des occupants du podium. Si le règne de Jacques Parizeau s’est effectivement accompagné d’un effort notable pour restreindre les dépenses publiques, il est trop court pour qu’on puisse en tirer des conclusions utiles sur le plan budgétaire. Les deux autres lauréats (Couillard et Bouchard), par contre, sont plus faciles à comparer. Pour ce faire, nous créons un scénario où les dépenses ne sont autorisées à croître qu’en fonction de l’inflation et de la croissance démographique à partir de la première année de l’arrivée au pouvoir du gouvernement.

Sous Lucien Bouchard, les dépenses par habitant ont été réduites de 2,95 % la première année. Par la suite, et jusqu’à sa démission en 2001, il a laissé les dépenses croître, mais à un rythme légèrement inférieur à celui de l’économie dans son ensemble(10). Il y a donc eu une réduction des dépenses par rapport au PIB. En revanche, sous Philippe Couillard, les dépenses par habitant en dollars constants ont en fait diminué dans les premières années pour ensuite rester plus ou moins stables. Résultat : les dépenses publiques en pourcentage de l’économie ont chuté encore plus rapidement que sous Bouchard.

Imaginons donc deux scénarios de retour à la rigueur budgétaire : le scénario Bouchard (réductions importantes des dépenses la première année et augmentations par la suite aux trois quarts du taux de la croissance économique) et le scénario Couillard (dépenses par habitant qui n’augmentent qu’en fonction de l’inflation). Nous pouvons calculer la rapidité avec laquelle chaque méthode nous ramènerait au niveau des dépenses par rapport au PIB d’avant la pandémie (c’est-à-dire le niveau de 2019, qui s’élevait à 24,8 % au lieu des 28,3 % actuels pour l’année civile 2021). Dans les deux scénarios, nous supposons un taux de croissance du PIB nominal de 5,8 % par an.

Comme le montre la Figure 2, la méthode calquée sur l’approche du premier ministre Bouchard ramènerait le Québec au niveau des dépenses d’avant la pandémie en 2030. La méthode Couillard, quant à elle, arriverait au même résultat en 2026. En fait, s’il se poursuivait jusqu’en 2030, le scénario Couillard ramènerait les dépenses du Québec au niveau observé à la fin des années 1990.

Comment ces scénarios se comparent-ils à la trajectoire actuellement projetée par le gouvernement du Québec? Selon le dernier plan budgétaire, les dépenses devraient croître de 3,2 % par année jusqu’en 2027(11), une tendance qui se rapproche beaucoup plus du scénario Bouchard que du scénario Couillard. Cela veut dire qu’il faudra environ une décennie pour que le Québec revienne au point de départ d’avant la pandémie, un niveau qui était déjà assez élevé, même dans le contexte québécois. En se donnant une règle plus ambitieuse, on réduirait le temps nécessaire presque de moitié. De plus, le niveau de dépenses par habitant serait inférieur de 1956 $. La différence entre les deux scénarios s’élève à 18 milliards de dollars.

Conclusion

La pandémie a constitué un épisode exceptionnel qui ne pouvait qu’être préjudiciable à la rigueur budgétaire. L’histoire nous enseigne que des crises se produisent occasionnellement et qu’elles nécessitent une certaine relance budgétaire de la part du gouvernement. Ainsi, nous devons nous montrer prévoyants et mettre de l’ordre dans nos finances. Et notre histoire montre qu’il existe de meilleures façons d’assainir les finances publiques après une crise que celles que nous utilisons aujourd’hui.

Références

  1. Calcul de l’auteur. Gouvernement du Québec, ministère des Finances, budget 2022-2023, Le budget en chiffres, 2022, consulté le 2 octobre 2022.
  2. Ministère des Finances, Plan budgétaire 2009-2010, p. J.9.
  3. Ruth Dupré, « Un siècle de finances publiques québécoises : 1867-1969 », L’Actualité économique, vol. 64, no 4, décembre 1988, p. 566-567.
  4. Vincent Geloso, Rethinking Canadian Economic Growth and Development Since 1900: The Quebec Case, Springer, 2017. N. B. : Dans cet ouvrage, j’ai couvert les dépenses publiques jusqu’en 2016. Les plus récentes estimations des ratios des dépenses publiques par rapport au PIB faites par le ministère des Finances ont été utilisées pour mettre à jour les données.
  5. Statistique Canada, tableau 18-10-0005-01 : Indice des prix à la consommation, moyenne annuelle, non désaisonnalisé, 2022, consulté le 3 octobre 2022.
  6. Statistique Canada, tableau 17-10-0027-01 : Estimations de la population, Canada, provinces et territoires (×1 000), 1921 à 1971, 2000, consulté le 3 octobre 2022; Statistique Canada, tableau 17-10-0005-01 : Estimations de la population au 1er juillet, par âge et sexe, 2022, consulté le 3 octobre 2022. Comme les deux séries statistiques pour la population sont estimées différemment, elles ne correspondent pas parfaitement en 1971. Nous avons fait la moyenne des deux séries cette année-là pour les fusionner.
  7. Livio Di Matteo et Fraser Summerfield, « The shifting Scully curve: international evidence from 1871 to 2016 », Applied Economics, vol. 52, no 39, mars 2020, p. 4263-4283; Gerald W. Scully, « The size of the state, economic growth and the efficient utilization of national resources », Public Choice, vol. 63, no 2, novembre 1989, p. 149-164; Atrayee Gosh Roy, « Evidence on economic growth and government size », Applied Economics, vol. 41, no 5, 2009, p. 607-614; Antonio Afonso et Davide Furceri, « Government size, composition, volatility and economic growth », European Journal of Political Economy, vol. 26, no 4, décembre 2010, p. 517-532; Andreas Bergh et Magnus Henrekson, « Government size and growth: a survey and interpretation of the evidence », Journal of Economic Surveys, vol. 25, no 5, juin 2011, p. 872-897.
  8. Carlin Wendy et David Soskice, Macroeconomics: Imperfections, Institutions & Policies, Oxford University Press, 2006; Frank Garmon Jr, Vincent Geloso et Phillip Magness, « Divided government and the bias against presidential restraint », The Social Science Journal, septembre 2020, p. 1-18.
  9. Il convient de souligner que les chiffres du PIB des premières années du régime de Duplessis sont probablement entachés d’inexactitudes causées par la guerre (voir Robert Higgs, « Wartime Prosperity? A Reassessment of the US Economy in the 1940s », The Journal of Economic History, vol. 52, no 1, mars 1992, p. 41-60; Vincent Geloso et C. P. Pender, « The Myth of Wartime Prosperity: Canadian Evidence », document de travail, 2022). Cependant, la durée de son mandat fait en sorte que les deux années de guerre problématiques (1944 et 1945) et les années de rajustement de l’immédiat après-guerre (1946 et 1947) ne font que peu de différence. Lorsque nous avons exclu ces années dans nos contrôles de robustesse, le classement est resté inchangé.
  10. La croissance des dépenses a été inférieure d’environ 10 % à celle de l’activité économique pendant la période 1997-2000.
  11. Ministère des Finances, Plan budgétaire 2022-2023, mars 2022, p. A21.
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