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Textes d'opinion

La loi 96 fait fausse route

Dans les derniers jours, de nombreux boucliers se sont levés face au controversé projet de loi 96 — qui n’a pas encore été adoptée —, notamment dû à l’incertitude pour les anglophones et allophones de continuer à recevoir des services publics en anglais. C’est d’ailleurs le cas du réseau de la santé, où plusieurs spécialistes ont affirmé que cette loi pourrait miner l’accès aux soins de santé d’une partie de cette population, et ce malgré le fait que le premier ministre tente de rassurer la population à ce sujet.

Il faut dire que, dans l’ensemble, cette version encore plus sévère et contre-productive de la loi 101 devrait être mise de côté. Cependant, ce navire a vogué et il est pratiquement certain que le gouvernement Legault ne reculera pas devant l’adoption d’une version quelconque de la loi 96. Ainsi, face à de telles perspectives, la seule chose que nous pouvons faire de façon réaliste à ce stade est de limiter les dégâts. Et il existe en effet plusieurs façons de rendre cette proposition de loi moins dommageable.

L’accès aux soins de santé doit demeurer

Prenons l’exemple des services de santé en anglais, qui est probablement l’aspect le plus flagrant et le plus méprisable du projet de loi 96. La codification juridique du concept de minorité historique anglophone comme critère déterminant l’admissibilité d’une personne à recevoir des services en anglais a été une source de grande incertitude parmi plusieurs Québécois anglophones, et pour cause. Étant donné que la Charte de la langue française a préséance sur les autres lois, un gouvernement sensé reconnaîtrait immédiatement qu’il joue avec le feu. Entre-temps, le premier ministre a affirmé catégoriquement que le projet de loi 96 ne fait rien pour limiter la disponibilité de ces services à tous les Québécois anglophones.

Si le gouvernement a vraiment l’intention de garantir des services de santé en anglais à tous les Québécois anglophones, il devrait simplement modifier le projet de loi 96 pour inclure une exception à ses dispositions générales. Pour rendre les choses encore plus faciles, le langage qu’il devrait utiliser figure déjà dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec : «La Loi sur les services de santé et les services sociaux reconnaît aux personnes d’expression anglaise le droit de recevoir des services de santé et des services sociaux en anglais.»

Un coup dur pour l’économie?

Les entreprises du Québec, et son économie en général, se porteraient également mieux si le projet de loi 96 était débarrassé des sévères limitations qu’il impose aux entreprises désireuses d’embaucher des talents bilingues. En ces temps modernes, il est impossible de contourner le fait que nos économies sont entrelacées à l’échelle mondiale et que l’anglais est la langue commune des affaires. Il serait parfaitement possible d’amender le projet de loi 96 afin d’affirmer que ces limites ne s’appliquent pas aux entreprises québécoises dont les revenus substantiels proviennent de l’extérieur du Québec, en déterminant un certain pourcentage. Et pourquoi, par exemple, ne pas étendre cette exemption aux entreprises pour lesquelles les anglophones représentent plus de 60 % des ventes?

Évidemment, nous pourrions débattre sans fin du bon seuil à fixer. Le point est qu’il est tout à fait possible de prévoir des exceptions et de limiter certains des pires excès législatifs contenus dans ce projet de loi, et que les citoyens de bonne volonté seraient bien avisés de présenter leurs propres recommandations. La politique est l’art du possible, et nous devrions être réalistes dans nos attentes.

La carotte plutôt que le bâton

La promotion du français comme langue parlée par la majorité des Québécois est à bien des égards une noble cause. Cependant, utiliser des outils répressifs et limiter l’accès aux services essentiels pour des centaines de milliers de nos concitoyens québécois est précisément la mauvaise façon d’y parvenir.

Plutôt que d’utiliser le bâton, pourquoi ne pas y aller avec la carotte? De nombreuses analyses historiques ont établi qu’il existe un lien clair entre la prospérité des francophones et le niveau d’attractivité du français dans la province.

En effet, les politiques destinées à accroître le rendement de l’éducation, à réduire le taux de décrochage au secondaire et à augmenter les taux de diplomation collégiale technique et universitaire sont des moyens beaucoup plus viables de préserver le statut de la langue française au Québec que d’introduire une loi controversée. Un niveau plus élevé de capital humain — soit le savoir et les aptitudes — chez les francophones augmenterait la productivité de ce groupe de telle sorte qu’il serait plus attrayant pour les anglophones d’apprendre le français au Québec afin d’interagir et de travailler avec ce groupe productif. C’est d’ailleurs en partie la raison expliquant que l’anglais est la langue des affaires qui n’est pas prête à disparaître.

Somme toute, le gouvernement créera davantage de division avec la loi 96, et ne réussira pas à augmenter la prospérité des francophones tout en protégeant notre langue. Ce projet de loi doit être réformé, ou sinon oublié.

Miguel Ouellette est directeur des opérations et économiste à l’IEDM. Il signe cette chronique à titre personnel.

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