Forêts québécoises : des centaines de millions perdus dans nos régions chaque année
Note économique montrant qu’il est tout à fait possible d’augmenter la récolte forestière tout en protégeant l’environnement, au grand bénéfice des régions et de l’ensemble des Québécois
Alors que le gouvernement s’apprête à revoir le régime forestier de la province, des écologistes s’activent afin de freiner l’exploitation de la ressource. Cette publication montre toutefois que nos forêts pourraient être exploitées davantage sans entamer le potentiel de renouvellement de la ressource.
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Entrevue avec Miguel Ouellette (Midi pile, KYK Radio, 29 octobre 2020) |
Cette Note économique a été préparée par Miguel Ouellette, directeur des opérations et économiste à l’IEDM. La Collection Environnement de l’IEDM vise à explorer les aspects économiques des politiques de protection de la nature dans le but d’encourager des réponses à nos défis environnementaux qui présentent le meilleur rapport coût-efficacité.
Depuis plusieurs années, l’industrie forestière au Québec est la cible d’attaques et de désinformation de la part de certains groupes politiques et d’ONG militantes, qui l’accusent à tort de déboiser agressivement les forêts québécoises. En ce moment, le secteur forestier québécois doit également composer avec des défis additionnels attribuables à la COVID-19 et aux mesures protectionnistes américaines.
Pendant ce temps, des millions de dollars sont perdus chaque année en volume de bois non récoltés dans la forêt publique. Pourtant, plus que jamais, la reprise de la croissance économique de nos régions doit passer par le secteur forestier. Il est tout à fait possible d’augmenter la récolte forestière tout en protégeant l’environnement, au grand bénéfice des régions et de l’ensemble des Québécois. Cette publication dresse un portrait des facteurs menant à cette sous-exploitation de la forêt québécoise ainsi que des pistes de solution afin de maximiser son potentiel économique.
Briser le mythe de la déforestation
L’industrie forestière embauche plus de 60 000 travailleurs au Québec, dont la grande majorité se trouve en région(1). Ces emplois de qualité génèrent des salaires relativement élevés. Par exemple, les employés en aménagement forestier gagnent en moyenne 68 000 $ annuellement(2), comparativement au revenu moyen au Québec de 43 900 $.
En plus de bénéficier à un grand nombre de familles québécoises, le secteur forestier de la province génère 2,5 % du PIB et 11,9 milliards de dollars en exportations(3). De plus, contrairement à ce que certains groupes avancent, ce secteur n’est pas composé uniquement de grandes entreprises. En fait, 72 % sont de petites entreprises et environ 90 % de toutes les entreprises se trouvent hors des villes de Montréal et de Québec(4).
Une analyse poussée de l’industrie et de ses pratiques nous renvoie une image aux antipodes de celle mise de l’avant par les activistes. Chaque année, c’est moins de 1 % de la forêt québécoise qui est exploitée(5). De plus, la forêt se régénère à un rythme plus rapide que ce que nous récoltons annuellement.
En effet, aux cinq ans, le gouvernement établit la possibilité forestière du Québec. Celle-ci représente le volume maximum des récoltes annuelles que l’on peut prélever à perpétuité, sans diminuer la capacité productive du milieu forestier. En d’autres mots, il s’agit de l’« intérêt » que la forêt nous verse chaque année en se régénérant.
Par exemple, si nous placions 100 $ à un taux d’intérêt annuel de 5 %, nous aurions 105 $ à la fin de l’année. Si nous dépensions ce 5 $ d’intérêt, nous aurions toujours le capital initial de 100 $ dans notre compte. Nous pourrions donc dépenser année après année le 5 $ généré, en tout ou en partie, sans diminuer notre capital initial. C’est le même principe avec la forêt : le 5 $ versé annuellement correspond à la possibilité forestière que nous pouvons récolter sans faire diminuer la taille initiale de la forêt.
Au cours des dix dernières années, nous avons en moyenne récolté annuellement seulement 72 % de la possibilité forestière disponible dans la forêt publique québécoise(6). Nous récoltons donc présentement moins de bois qu’il s’en régénère chaque année. Ainsi, même si nous faisions augmenter ce pourcentage – sans bien sûr dépasser 100 % – notre forêt se régénèrerait plus vite qu’à la vitesse que nous l’exploitons et il serait possible d’aller chercher des centaines de millions de dollars de plus chaque année pour nos régions.
C’est exactement ce que plusieurs autres provinces ont entrepris en favorisant l’augmentation du volume de bois récolté. Par exemple, en Colombie-Britannique et au Nouveau-Brunswick, on y récolte respectivement 96 % et 90 % de la possibilité forestière annuellement(7). Les citoyens de ces provinces en bénéficient, puisque ces récoltes sont faites en forêts publiques. Dans notre province, les Québécois sont collectivement propriétaires de 92 % de la forêt de notre territoire; le reste représentant les forêts privées(8). En plus de percevoir des taxes sur l’activité économique, le gouvernement perçoit également des redevances sur l’exploitation de la forêt publique, ce qui contribue au financement des services publics.
De surcroît, récolter davantage de bois ne rime pas nécessairement avec augmentation de la pollution émise. Au contraire, une recherche effectuée l’an dernier par le Groupe de travail sur la forêt et les changements climatiques et financée par le gouvernement du Québec a démontré, entre autres, que de récolter plus de bois pourrait emprisonner beaucoup de CO2 et contribuer à la diminution des gaz à effets de serre (GES) émis dans la province(9). Par exemple, lorsque le bois est transformé en matériaux de construction, le carbone du bois reste emprisonné plus longtemps pendant que la forêt se régénère. D’ailleurs, la production d’autres matériaux de construction, tels que l’acier et le ciment, exige plus d’énergie issue de combustibles fossiles que la récolte et la transformation du bois(10).
Il est donc non seulement erroné de stipuler que les forêts québécoises sont en danger et que leur superficie diminue d’année en année, mais il est aussi faux d’associer automatiquement la récolte de bois à l’augmentation de GES émis au Québec.
Récolter davantage pour relancer l’économie régionale
Bien que d’arriver à récolter une portion significativement plus élevée de la possibilité forestière soit un objectif de moyen, voire même de long terme, il serait tout à notre avantage de commencer dès aujourd’hui à cesser de laisser inutilement dans nos forêts des millions de dollars chaque année. Il ne s’agit pas uniquement de la valeur du bois non récolté, mais aussi des bénéfices économiques(11) perdus et des recettes fiscales non perçues.
Tel qu’illustré dans la Figure 1, le Québec se prive de plusieurs centaines de millions de dollars annuellement en bois non récolté. Bien que ces montants représentent les gains potentiels si la totalité de la possibilité forestière était récoltée, il est tout à fait possible d’en exploiter plutôt environ 95 %, par exemple, comme le fait la Colombie-Britannique. La superficie totale de la forêt provinciale continuerait de grandir et les régions en bénéficieraient économiquement.
Nous observons une disparité par région pour ce qui est du volume de bois récolté (voir la Figure 2). Celle-ci s’explique en partie par la qualité et l’essence de bois qui varient selon la région, mais aussi selon les politiques régionales en place. Par exemple, le Saguenay a mis sur pied la première Stratégie régionale de production de bois au Québec qui vise à augmenter leur possibilité forestière de près de 40 % d’ici 2050(12). Le Forestier en chef du Québec s’en est d’ailleurs inspiré dans son plan de 2019 lorsqu’il a mentionné vouloir augmenter la possibilité forestière à 50 millions de mètres cubes au Québec dans les prochaines années(13).
Bien que le gouvernement provincial soit un acteur clé dans l’encadrement de l’exploitation forestière du Québec, les régions devraient aussi développer une stratégie propre à leur environnement afin de faciliter les affaires pour le secteur forestier sur leur territoire. Après tout, les millions perdus chaque année sont principalement coûteux pour elles.
Présentement, 25 % du volume disponible de bois à la récolte est mis aux enchères par le Bureau de mise en marché des bois (BMMB), qui est régi par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs(14). Quiconque s’inscrivant au BMMB peut prendre part aux enchères, où le bois est vendu sur pied ou en billes. Bien que l’objectif de cette agence soit de refléter les prix de marché par les ventes aux enchères, un prix minimum est imposé sur le bois. Ainsi, ce n’est pas tout le bois à vendre qui trouve preneur : le prix minimum exigé est parfois trop élevé pour la qualité du bois. En d’autres mots, la valeur marchande du bois est parfois inférieure au taux minimum fixé par le BMMB. Sauf lorsqu’il y a au moins trois soumissionnaires, il n’est pas possible de vendre sous ce taux. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle 12 % du bois mis aux enchères entre 2013 et 2018 n’a pas été vendu(15).
Dans des régions comme la Côte-Nord où la fibre est souvent de moindre qualité, les entreprises sont souvent seules à soumissionner et, étant donné le prix minimum, elles devraient récolter le bois à perte si la vente avait lieu. Le problème avec un prix minimum trop élevé est que le BMMB empêche les entreprises de récolter le bois, ce qui veut dire ensuite qu’aucune recette fiscale n’est perçue. Il serait possible d’augmenter les recettes fiscales et les bénéfices économiques en diminuant le taux minimum, tout en générant un revenu de ventes.
En plus du mécanisme de prix minimum qui réduit artificiellement le volume de bois récolté chaque année, il serait à l’avantage de tous si l’État se dotait d’un plan plus efficace d’aménagement des forêts publiques. L’idée est de mieux entretenir les forêts afin d’y augmenter la productivité. Dans toutes les provinces au pays, les entreprises souhaitant récolter du bois en forêts publiques doivent faire cela en présentant un plan d’aménagement forestier avant le début des travaux(16). Celui-ci stipule pour le gouvernement les différentes étapes du plan d’exploitation de la forêt et de quelle façon l’entreprise s’assurera du respect des normes environnementales et de reboisement.
L’État devrait aussi améliorer son plan d’aménagement en forêts non exploitées afin que le bois devienne de meilleure qualité pour une récolte future. Un partenariat public-privé pourrait être envisagé dans le but d’aménager une plus grande surface de la forêt publique. Il serait à l’avantage des municipalités de discuter de tels partenariats avec des entreprises locales afin de favoriser les investissements et activités futures de récoltes.
Conclusion et recommandations
Dans le cadre du Plan Stratégique 2019-2023(17), le gouvernement fait valoir l’importance d’augmenter la possibilité forestière ainsi que la récolte de bois. Cela rejoint nos propres conclusions, et c’est pourquoi nous mettons de l’avant trois recommandations concrètes :
- Le prix minimum fixé par le Bureau de mise en marché des bois doit être revu et diminué dans les régions où le bois en vente ne trouve pas preneur;
- L’État, les régions et les entreprises privées de l’industrie forestière devraient collaborer afin d’établir un plan plus efficace d’aménagement des forêts publiques là où aucune activité d’exploitation n’est encore en cours;
- Il est impératif que le gouvernement du Québec limite les obstacles et coûts imposés aux entreprises forestières, dans l’objectif d’atteindre un seuil de récolte se rapprochant de la Colombie-Britannique, soit environ 95 % de la possibilité forestière.
La pandémie a eu des conséquences lourdes pour l’économie de nos régions. Des mesures concrètes permettant au secteur privé de stimuler les investissements et de contribuer à la reprise de la croissance économique doivent être priorisées. Il est à l’avantage non seulement des familles québécoises en région, mais aussi de l’ensemble des Québécois, de pouvoir compter sur un secteur forestier fort et prospère. Il est temps d’augmenter la récolte forestière et de cesser de perdre des centaines de millions de dollars chaque année.
Références
- Bureau de mise en marché des bois, Rapport annuel 2018-2019, octobre 2019, p. 6; Comité sectoriel de main-d’œuvre en aménagement forestier, « Tableau de bord sur l’aménagement forestier et l’emploi de juillet 2019 », septembre 2020, p. 5.
- Comité sectoriel de main-d’œuvre en aménagement forestier, ibid., p. 6.
- Calculs de l’auteur. Ibid., p. 1.
- Calculs de l’auteur. Ibid., p. 1-5.
- Calculs de l’auteur. Ressources naturelles Canada, Forêts et foresterie, Aménagement forestier durable au Canada, Données statistiques, septembre 2020; Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Ressources et industries forestières du Québec, portrait statistique 2018, octobre 2019, p. 1.
- La forêt publique représente 92 % de la superficie totale de la forêt québécoise. Les entreprises privées peuvent se procurer un permis auprès du gouvernement afin de l’exploiter ou se procurer le bois aux enchères du Bureau de mise en marché des bois. Le total du volume de bois récolté selon les permis délivrés doit toujours être inférieur à la possibilité forestière. Calculs de l’auteur. Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, ibid., p. 67-75.
- B.C. Ministry of Forests, Lands, Natural Resource Operations and Rural Development, Environmental Reporting BC 2018, Trends in Timber Harvest in B.C., mis à jour mai 2018, p. 4; B.C. Ministry of Forests, Lands, Natural Resource Operations and Rural Development, 2018 Economic State of the B.C. Forest Sector, septembre 2019, p. 14; New Brunswick Department of Energy and Resource Development, Energy and Resource Development Annual Report 2018-2019, novembre 2019, p. 9.
- Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Forêts, Inventaire écoforestier, septembre 2020.
- Robert Beauregard et al., Rapport du groupe de travail sur la forêt et les changements climatiques, préparé pour le Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, 15 novembre 2019, p. 1.
- Idem.
- Nous entendons ici par « bénéfice économique » la rente du propriétaire de la ressource, le bénéfice net des entreprises avant impôt et la rente salariale.
- Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Stratégie régionale de production de bois, Direction de la gestion des forêts Saguenay– Lac-Saint-Jean, avril 2018, p. 30.
- La possibilité forestière annuelle au Québec est présentement de 34 148 000 de mètres cubes. Bureau du Forestier en chef du Québec, Détermination 2018-2023, Synthèse provinciale, novembre 2019, p. 3; Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Plan Stratégique 2019-2023, 2019, p. 13. Calculs de l’auteur.
- Bureau de mise en marché des Bois, Le marché libre des bois de la forêt publique du Québec – Bilan quinquennal 2013-2018, mai 2019, p. 5.
- Calculs de l’auteur. Idem.
- Ressources naturelles Canada, Nos ressources naturelles, Forêts et foresterie, Aménagement forestier durable au Canada, Planification de l’aménagement forestier, 29 juin 2020.
- Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, op. cit., note 13.