Réduction de la pauvreté : les objectifs d’Ottawa sont-ils si ambitieux?
Le gouvernement fédéral a récemment annoncé la toute première stratégie canadienne de réduction de la pauvreté. Le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, Jean-Yves Duclos, a ainsi annoncé une stratégie générale pour réduire la pauvreté de 20 % d’ici 2020 et de 50 % d’ici 2030. Elle recense pas moins de 87 mesures (dont la plupart sont déjà en place).
Ce sont de bien nobles intentions, mais les objectifs sont-ils si ambitieux que le gouvernement le laisse entendre? Pour déterminer les cibles du taux de pauvreté à atteindre, Ottawa a retenu la mesure du panier de consommation, qui donne une bonne idée du revenu nécessaire pour subvenir à ses besoins de base (logement, nourriture, habillement, transport et loisirs). Selon cet indicateur, le taux de pauvreté était de 10,6 % en 2016; il descendrait donc à 9,7 % en 2020 et à 6,1 % en 2030.
C’est très bien. Sauf que… c’est en train de se faire tout seul! En effet, si la tendance observée entre 2011 et 2016 se poursuit, le taux de pauvreté sera inférieur à la cible du gouvernement en 2020, et presque équivalent à celle de 2030. Même en prenant un scénario plus prudent, qui tient compte de la dernière crise économique, l’objectif de 2020 serait atteint.
D’ailleurs, les mesures phares de la stratégie fédérale sont essentiellement une bonification de mesures existantes. L’Allocation canadienne pour enfants vient remplacer l’ancien système en bonifiant les sommes offertes aux familles. L’autre mesure d’importance, l’Allocation canadienne pour les travailleurs, est elle aussi une bonification d’un programme existant; elle permettra à des travailleurs au bas de l’échelle de recevoir jusqu’à 500 $ de revenus de plus que sous l’ancien programme. Ce n’est pas négligeable, et cette mesure a l’avantage d’inciter des individus à faible revenu à rester sur le marché du travail, puisqu’ils doivent payer moins d’impôt par dollar supplémentaire de revenu.
Où est la croissance?
Cependant, aucune piste sérieuse n’est envisagée pour favoriser la croissance. Pourtant, la recherche économique a maintes fois démontré que la croissance augmente le revenu de tous, incluant celui des plus pauvres. Une étude portant sur 58 pays a ainsi montré qu’une croissance du PIB de 10 % est associée à une augmentation de 10 % du revenu pour les 40 % les moins fortunés.
En offrant des opportunités d’emploi, la croissance économique contribue à réduire la persistance du faible revenu. Dans l’ensemble, l’expérience des provinces canadiennes au cours des dernières décennies montre qu’en moyenne, une augmentation de 10 000 $ du PIB par habitant entraîne une baisse de la persistance du faible revenu de 1,7 point de pourcentage. Pour avoir une idée de cet effet, l’Alberta avait un PIB par habitant de 72 200 $ et un taux de persistance de la pauvreté de 3,3 % en 2015, contre 41 000 $ et 6,2 % pour le Québec. En d’autres termes, plus les provinces sont riches, moins les personnes restent pauvres longtemps.
Si l’objectif est de réduire la pauvreté, l’attention devrait être concentrée sur les politiques publiques créatrices de richesse comme la réduction du fardeau fiscal, la libéralisation du marché du travail et la libre circulation des biens et des services (il existe beaucoup de barrières entre les provinces pour ce qui est des deux derniers points). La croissance économique et les occasions qui en découlent profitent à l’ensemble de la population, y compris nos concitoyens les moins fortunés. Le meilleur moyen de les aider est de la favoriser.
Alexandre Moreau est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.