Taxer le sucre n’empêchera pas une hausse de l’obésité
Le gouvernement du Québec a formé plus tôt cette année un comité dont l’objectif avoué est de proposer une taxe sur les boissons sucrées, dans le but de réduire la prévalence de l’obésité. Il existe pourtant de nombreuses raisons de douter de l’efficacité de cette mesure. En effet, lorsqu’une taxe vient modifier le prix d’un bien, il n’y a aucune assurance que le produit de remplacement sera meilleur pour la santé que le produit taxé.
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L’obésité augmente même si on consomme moins de sucre (Blogue de l’IEDM du Journal de Montréal, 27 novembre 2018) | Entrevue avec Mathieu Bédard (Isabelle, 98,5 FM, 27 novembre 2018)
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Ce Point a été préparé par Mathieu Bédard, économiste à l’IEDM. La Collection Fiscalité de l’IEDM vise à mettre en lumière les politiques fiscales des gouvernements et à analyser leurs effets sur la croissance économique et le niveau de vie des citoyens.
Le gouvernement du Québec a formé plus tôt cette année un comité dont l’objectif avoué est de proposer une taxe sur les boissons sucrées, dans le but de réduire la prévalence de l’obésité(1). Il existe pourtant de nombreuses raisons de douter de l’efficacité de cette mesure. En effet, lorsqu’une taxe vient modifier le prix d’un bien, il n’y a aucune assurance que le produit de remplacement sera meilleur pour la santé que le produit taxé.
Le paradoxe du sucre
Le sucre n’est pas la cause de l’augmentation des taux d’obésité(2). En fait, un « paradoxe du sucre » peut être observé au Québec et dans le reste du Canada, ainsi qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie, entre autres. Tous ces endroits ont connu une augmentation de l’obésité ces dernières années, malgré le fait que la consommation de sucre y a diminué(3).
Une étude récente montre par exemple que, malgré la prévalence accrue de l’obésité, les Québécois et les autres Canadiens consomment de moins en moins de boissons sucrées, et que celles qu’ils consomment contiennent de moins en moins de sucre(4). La consommation de sucre en général a elle aussi diminué depuis dix ans, après avoir été en augmentation presque constante depuis le début des années 1990. Malgré cela, l’« épidémie » d’obésité poursuit sur sa lancée et touche aujourd’hui près du tiers de la population du pays (voir la Figure 1).
On observe le même phénomène ailleurs. Aux États-Unis, la consommation de sucre et de ses équivalents (y compris le sirop de maïs riche en fructose utilisé dans les boissons gazeuses) a diminué depuis la fin des années 1990, contrairement à la croyance populaire. Le taux d’obésité, lui, continue d’augmenter(5). En Australie, où cette relation a été largement commentée, l’augmentation de la prévalence de l’obésité a coïncidé avec une baisse importante de la consommation de sucre(6).
Le problème, c’est les calories
Plusieurs études cliniques ont démontré que le sucre en soi n’a rien de spécial qui viendrait ralentir où annuler la perte de poids durant une diète(7). Comme l’explique la science de la nutrition, c’est consommer trop de calories, quelle que soit leur origine, qui fait grossir, peu importe que l’on mange des aliments complets, des aliments transformés ou des boissons sucrées. Il s’agit d’une nuance importante, puisqu’il est ainsi techniquement possible de perdre du poids en consommant presque exclusivement des aliments et des boissons sucrées.
Se concentrer sur un seul type d’aliment ou un seul nutriment pour régler le problème de l’obésité est voué à l’échec(8). Le principe économique des effets pervers a ainsi été illustré aux États-Unis lorsque l’Oregon a banni le lait au chocolat des cafétérias des écoles primaires. Une étude a trouvé qu’il s’est alors vendu moins de lait, qu’une plus grande part du lait vendu a été gaspillée, et que beaucoup d’élèves ont cessé d’acheter des repas à l’école(9). Le résultat net a été une moins grande consommation de lait et, soupçonnent les chercheurs, une compensation à l’heure de la collation ou après l’école par des aliments ou des boissons tout aussi caloriques.
Le problème des taxes sur les aliments trop sucrés, salés ou gras est le même que pour toutes les taxes. Lorsque vous taxez un produit, les comportements changent, et les gens substituent leur consommation d’un bien à celle d’un autre(10). L’effet d’une hypothétique taxe sur la prévalence de l’obésité va cependant dépendre de ce qui remplacerait les boissons sucrées.
Si, malgré la taxe, les gens continuent à consommer trop de calories, cette politique publique n’aura aucun effet; elle aura toutefois augmenté le prix des produits, ce qui est particulièrement pernicieux pour les moins aisés. Et si la consommation totale de sucre n’est que peu ou pas affectée, c’est encore pire, puisqu’une telle politique ne peut alors même pas prétendre améliorer la santé publique. Au contraire, elle peut en fait la détériorer. Ce serait le cas si, en raison de la taxe, des gens sacrifiaient par exemple une partie de leur consommation de lait, ou de fruits et légumes, pour maintenir leur consommation de boissons sucrées.
Le même problème se poserait s’il était question de taxer les aliments transformés, parfois aussi accusés d’être responsables de la hausse de l’obésité. Une étude a par exemple trouvé que les aliments transformés contenaient 55 % de l’apport en fibres alimentaires dans l’alimentation des Américains, 48 % du calcium, 43 % du potassium, 34 % de la vitamine D, 64 % du fer, 65 % de l’acide folique, et 46 % de la vitamine B-12(11). Si une taxe faisait en sorte que les Américains remplaçaient les aliments transformés, il n’y a aucune assurance que ce qui prendrait leur place serait aussi riche en ces nutriments, ou même moins calorique. En somme, une telle taxe pourrait bien contribuer à une détérioration du régime alimentaire.
Conclusion
La nutrition, et la consommation de façon plus générale, sont plus complexes que nous le pensons. Si on tentait de modifier les comportements alimentaires des Québécois avec des taxes, il serait impossible de prévoir avec certitude ce sur quoi ils reporteraient leur consommation. Les solutions simplistes telles que la taxation des boissons sucrées ne traitent pas de problèmes plus fondamentaux, comme une éducation adéquate en matière de saine alimentation et de saines habitudes de vie, qu’une taxe ne peut remplacer.
Références
1. Pierre Couture, « Bientôt une taxe sur les boissons sucrées », Le Journal de Montréal, 20 mars 2018.
2. James M. Rippe et Theodore J. Angelopoulos, « Sugars and Health Controversies: What Does the Science Say? », Advances in Nutrition, vol. 6, no 4, 1er juillet 2015, p. 493S-503S.
3. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAOSTAT, Bilans Alimentaires, Disponibilité alimentaire (Kcal/personne/jour), Sucre et édulcorants, 2003-2013; Organisation mondiale de la Santé, Global Health Observatory data repository, Prevalence of obesity, age-standardized, Prevalence of obesity among adults, BMI ≥ 30, age-standardized, 2003-2013.
4. Michael Grant, Counting the Calories: Examining the Relationship Between Beverage Consumption and the Canadian Diet, The Conference Board of Canada, juillet 2018.
5. USDA, Food Availability (Per Capita) Data System, Caloric sweeteners: Per capita availability adjusted for loss, 1990-2016; Organisation mondiale de la Santé, Global Health Observatory data repository, Prevalence of obesity, age-standardized, Prevalence of obesity among adults, BMI ≥ 30, age-standardized, 1990-2016.
6. Alan W. Barclay et Jennie Brand-Miller, « The Australian Paradox: A Substantial Decline in Sugars Intake over the Same Timeframe that Overweight and Obesity Have Increased », Nutrients, vol. 3, no 4, 2011, p. 491-504; Alan W. Barclay et Jennie Brand-Miller, « Declining Consumption of Added Sugars and Sugar-Sweetened Beverages in Australia: A Challenge for Obesity Prevention », The American Journal of Clinical Nutrition, vol. 105, no 4, avril 2017, p. 854-863; Bradley Ridoutt et al., « Changes in Food Intake in Australia: Comparing the 1995 and 2011 National Nutrition Survey Results Disaggregated into Basic Foods », Foods, vol. 5, no 2, 2016, article 40; Linggang Lei et al., « Dietary Intake and Food Sources of Added Sugar in the Australian Population », British Journal of Nutrition, vol. 115, no 5, mars 2016, p. 868-877; Australian Bureau of Statistics, Consumption of Added Sugars − A Comparison of 1995 to 2011-12, 13 décembre 2017.
7. JA. West et A.E. de Looy, « Weight Loss in Overweight Subjects Following Low-Sucrose or Sucrose-Containing Diets », International Journal of Obesity, vol. 25, no 8, août 2001, p. 1122-1128; R.S. Surwit et al., « Metabolic and Behavioral Effects of a High-Sucrose diet during weight loss », The American Journal of Clinical Nutrition, vol. 65, no 4, avril 1997, p. 908-915; Susan K. Raatz et al., « Reduced Glycemic Index and Glycemic Load Diets Do Not Increase the Effects of Energy Restriction on Weight Loss and Insulin Sensitivity in Obese Men and Women », The Journal of Nutrition, vol. 135, no 10, octobre 2005, p. 2387-2391; E.E.J.G. Aller et al., « Weight Loss Maintenance in Overweight Subjects on ad Libitum Diets With High or Low Protein Content and Glycemic Index: The DIOGENES Trial 12-Month Results », International Journal of Obesity, vol. 38, décembre 2014, p. 1511-1517.
8. Joanne Slavin, « Two More Pieces to the 1000-Piece Carbohydrate Puzzle », The American Journal of Clinical Nutrition, vol. 100, no 1, juillet 2014, p. 4-5.
9. Andrew S. Hanks, David R. Just et Brian Wansink, « Chocolate Milk Consequences: A Pilot Study Evaluating the Consequences of Banning Chocolate Milk in School Cafeterias », PLOS ONE, vol. 9, no 4, avril 2014.
10. David Gratzer et Jasmin Guénette, Aucun remède miracle : des solutions positives au problème de l’obésité, Cahier de recherche, IEDM, mai 2013, p. 13-16.
11. Connie M. Weaver et al., « Processed foods: contributions to nutrition », The American Journal of Clinical Nutrition, vol. 99, no 6, juin 2014, p. 1525-1542.