La face cachée des crédits d’impôt aux entreprises du multimédia
Depuis quelques jours, les généreux programmes de crédits d’impôt pour la production de titres multimédias et ceux pour le secteur numérique font l’objet de sévères critiques. Certaines grandes entreprises québécoises comme Stingray et Coveo estiment que ce genre de mesures fiscales ne sont plus justifiées dans le contexte actuel et qu’elles constituent ni plus ni moins une concurrence déloyale entre les entreprises admissibles et celles qui ne le sont pas.
Bernard Landry, instigateur du programme de crédits d’impôt dans le secteur multimédia, ainsi qu’Hubert Bolduc, président-directeur général de Montréal International, sont intervenus pour défendre ces mesures.
Ils ne tracent toutefois qu’un portrait partiel de la situation. Lorsqu’on fait l’exercice de soupeser les coûts et bénéfices de ces programmes de subvention, il n’est pas certain que leur contribution soit si positive.
Les autres gouvernements le font, nous devons le faire aussi
La main-d’œuvre et les entreprises dans le secteur numérique et multimédia sont en effet très mobiles. C’est un domaine à haute valeur ajoutée et les gouvernements partout à travers la planète offrent des avantages fiscaux pour attirer les talents. Toutefois, il faut savoir que ces crédits d’impôt sont très coûteux.
En 1999, les dépenses engendrées par ces programmes étaient relativement modestes alors qu’elles étaient sous la barre des 25 millions de dollars. En tenant compte de l’inflation, les dépenses annuelles ont été multipliées par 15 pour atteindre 484 millions en 2016. Considérant le fait que la contribution par emploi peut représenter des dizaines de milliers de dollars en crédits d’impôt, il est fort possible que cette «course à l’armement», comme la qualifiait M. Bolduc, soit plutôt une course vers le bas.
Les défenseurs des programmes mettent beaucoup l’accent sur la création d’emplois. Entre 2001 et 2016, le nombre d’emplois dans le secteur des TI a augmenté de 12%. Lors de cette même période, les dépenses en crédits ont cependant augmenté de près de 340%.
Il faut bien comprendre que du point de vue de la logique économique, le but n’est pas simplement de créer des emplois, mais bien des emplois viables qui apportent de la richesse grâce à une allocation optimale des ressources. L’exemple d’Ubisoft est assez éloquent alors que l’entreprise a reçu au cours de la dernière décennie environ 782 millions de dollars en provenance des différents paliers de gouvernement au Canada. Il n’y a pas eu de création nette de richesses durant cette période, puisque l’entreprise a déclaré des profits de seulement 623 millions de dollars. Sans les subventions gouvernementales, l’entreprise aurait fait des pertes.
Cela signifie que les ressources qu’elle a utilisées auraient servi à meilleur escient dans d’autres entreprises capables d’engranger des profits sans subventions. Cette logique est encore plus implacable dans un contexte où il y a une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, comme c’est le cas actuellement. Cela rend encore plus difficile la croissance des autres entreprises puisqu’elles doivent payer plus cher pour la main-d’œuvre ou même renoncer à certains projets de développement.
Le maintien des crédits d’impôt n’est pas la façon la plus efficiente pour attirer et maintenir des emplois dans le secteur des TI. En pourcentage du PIB, les taxes sur la masse salariale et l’impôt sur le revenu des sociétés sont plus élevés au Québec comparativement à la moyenne des pays développés avec lesquels nous sommes directement en concurrence.
Quant à la Ville de Montréal, elle fait piètre figure par rapport aux autres grandes villes canadiennes en ce qui a trait au taux effectif marginal d’imposition lié aux nouveaux investissements, principalement en raison des taxes municipales. Ce taux s’élève à 75,6% à Montréal en 2015, contre 42,5% par exemple à Saskatoon, leader de ce classement.
En somme, les crédits d’impôt créent des distorsions et imposent des coûts considérables aux contribuables sans que les retombées nettes soient nécessairement au rendez-vous. Ceux qui veulent faire du Québec et de Montréal des plaques tournantes du secteur numérique et multimédia devraient donc viser la réduction du fardeau fiscal pour l’ensemble des entreprises afin d’attirer davantage d’investissements.
Alexandre Moreau est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.