Le Point – Les soins de santé en Suède : décentralisés, autonomes, concurrentiels et universels
Le gouvernement du Québec veut centraliser encore plus le système de santé avec son projet de loi 130 : le ministre aura plus de pouvoirs sur les dirigeants, la gestion et le fonctionnement des hôpitaux. Le gouvernement aurait cependant avantage à suivre l’exemple de la Suède, qui a pris avec succès la direction opposée en plus de tirer profit de la contribution du secteur privé.
Communiqué de presse : Santé : le gouvernement fait fausse route avec le projet de loi 130
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Le Point – Les soins de santé en Suède : décentralisés, autonomes, concurrentiels et universels
Le gouvernement du Québec veut centraliser encore plus le système de santé avec son projet de loi 130 : le ministre aura plus de pouvoirs sur les dirigeants, la gestion et le fonctionnement des hôpitaux(1). Le Québec aurait cependant avantage à suivre l’exemple de la Suède, qui a pris avec succès la direction opposée en plus de tirer profit de la contribution du secteur privé.
En Suède, depuis les années 1990, on a transformé la façon dont les services de santé sont rendus. De nombreux fournisseurs privés travaillent de pair avec les fournisseurs publics et sont parfaitement intégrés dans un système financé par l’État(2). L’accès demeure universel, les patients versant une franchise qui couvre une petite partie du coût des visites médicales, des hospitalisations et des médicaments(3). La fourniture des soins est décentralisée, gérée de façon autonome et concurrentielle, ce qui donne un meilleur accès aux soins que celui dont profitent les Canadiens.
Quand le secteur privé améliore l’accès aux soins
L’expérience suédoise démontre qu’il n’y a pas de contradiction entre la gestion privée des établissements de soins, d’une part, et l’accès égal et universel à ces soins, d’autre part. Pourquoi? Parce que les établissements privés peuvent être financés de la même manière que les établissements publics, à savoir avec des fonds publics.
Ce « pluralisme des fournisseurs » permet d’élargir le choix des patients, de réduire les temps d’attente et d’améliorer la qualité globale des soins. Loin de menacer l’accès égal et universel aux soins, l’intégration du secteur privé à l’approvisionnement des soins a, au contraire, aidé à rendre économiquement viables les valeurs égalitaires suédoises.
Le changement le plus radical a été constaté en première ligne, par un meilleur accès et de plus courts temps d’attente, grâce à des entrepreneurs qui ont ouvert de nouvelles cliniques. Quant aux patients, ceux qui vont dans une clinique privée sont traités de la même manière que dans une clinique publique. Ils paient la même modeste franchise et ont accès aux mêmes services(4). Ils peuvent se rendre dans la clinique de leur choix, publique ou privée, et personne n’est refusé à cause de son état de santé ou de sa situation financière.
Le changement s’est accéléré en 2010 quand une loi a consacré le droit du patient de choisir son fournisseur de services. Une étude récente a démontré que, depuis l’adoption de cette loi, le nombre de cliniques de première ligne et celui des consultations ont tous deux augmenté de 20 %, sans hausse importante du financement(5).
Grâce à la concurrence entre fournisseurs publics et privés, les soins de première ligne en Suède sont aujourd’hui plus accueillants, polyvalents et axés sur le service à la clientèle. Les Suédois de toutes allégeances politiques apprécient ce virage. Dans un sondage récent, 85 % d’entre eux ont affirmé que le choix en santé est important pour eux et 90 % considèrent comme essentiel de pouvoir refuser un fournisseur de soins dont ils ne sont pas satisfaits(6).
Des hôpitaux autonomes dans un système décentralisé
Outre les cliniques, la Suède compte aussi des hôpitaux à gestion privée. Certains sont dirigés par des organismes sans but lucratif traditionnels, d’autres par des entreprises à but lucratif qui s’engagent par contrat avec les autorités régionales à fournir des services à la population(7). Comme pour les cliniques, le patient peut choisir s’il veut être soigné dans un établissement public ou privé, a accès aux mêmes services et doit verser la même modeste contribution.
Les établissements privés jouent un rôle important, non seulement par les soins prodigués à leurs patients, mais aussi comme point de comparaison du rendement des hôpitaux à gestion publique, lesquels demeurent prédominants(8).
Pour un pays souvent cité comme un exemple d’État-providence à imiter, la Suède exerce un contrôle bureaucratique étonnamment limité dans le domaine de la santé. Le rôle restreint du gouvernement national est prescrit par la Constitution du pays(9). Essentiellement, Stockholm se charge uniquement d’établir des principes et des lignes directrices, de la sécurité du patient et de déterminer l’ordre du jour politique.
Le financement et la fourniture des services relèvent des 21 conseils de comté du pays(10). Il incombe à chaque conseil (régi par un conseil d’administration composé de représentants élus) d’organiser, de financer et de superviser le fonctionnement des services de santé dans le comté(11). Certaines régions appliquent des stratégies axées sur le marché et proposent des incitations financières comme celle de rembourser les établissements en fonction du volume d’activités. D’autres régions continuent à financer les hôpitaux en fonction de budgets globaux(12).
Malgré ces différences régionales, la politique nationale prévoit clairement que les administrateurs d’hôpitaux, tant dans le secteur public que privé, jouissent d’une autonomie substantielle. Ils ont toute la latitude pour adapter la prestation des soins à la demande et aux ressources et peuvent embaucher et licencier des médecins ou d’autres membres du personnel.
Cet équilibre des pouvoirs entre les autorités régionales élues et les directions d’hôpitaux n’empêche pas une intervention politique si un hôpital obtient des résultats médiocres ou dépasse son budget. Les directions d’hôpitaux doivent aussi se plier à la législation en matière de travail, d’environnement, de divulgation des statistiques, et ainsi de suite. Mais il n’y a pas de règles spécifiques ne visant que les hôpitaux et, encore ici, les directions ont toute la latitude pour accomplir leurs tâches(13).
Conclusion
Le modèle suédois montre qu’il n’y a pas de contradiction entre la prestation privée des soins et l’égalité d’accès si on se dote de politiques judicieuses et d’une gestion décentralisée. Les Suédois ne constatent aucune différence de traitement entre le public et le privé, mais profitent certainement du choix, d’un meilleur accès aux soins et d’un meilleur service en général(14). Une part importante du succès du modèle suédois peut aussi être attribuée à l’autonomie accordée aux régions et aux hôpitaux, une leçon dont nos politiciens aux tendances centralisatrices auraient avantage à s’inspirer.
Ce Point a été préparé par Jasmin Guénette, vice-président de l’IEDM, et Johan Hjertqvist, président de Health Consumer Powerhouse, qui publie annuellement l’Indice européen des consommateurs de soins et de santé (EHCI), en collaboration avec Germain Belzile, chercheur associé senior à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’initiative privée permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.
Références
1. Projet de loi n°130 : Loi modifiant certaines dispositions relatives à l’organisation clinique et à la gestion des établissements de santé et de services sociaux, Assemblée nationale, présenté le 9 décembre 2016.
2. Observatoire européen des systèmes et des politiques de santé, Sweden: Health System Review, Health Systems in Transition, vol. 14, no 5, 2012, p. 103-120.
3. Cette franchise ne peut excéder la fourchette de 900 à 1100 SEK (environ 135 à 165 $ CAN) par année pour les consultations médicales et de 2200 SEK (environ 330 $ CAN) pour les médicaments d’ordonnance (taux de change au 13 mars 2017). Voir Sweden.se, Health Care in Sweden.
4. Elias Mossialos et coll. (éd.), 2015 International Profiles of Health Care Systems, Commonwealth Fund, janvier 2016, p. 153-160.
5. 9 Vårdanalys, Låt den rätte komma in. Rapport 2014:3, 2014; Fredrik Andersson, N. Janlöv, C. Rehnberg, Konkurrens, kontrakt och kvalitet – hälso- och sjukvård i privat regi, Expertgruppen för studier i offentlig ekonomi och Myndigheten för vårdanalys 2014:5, 2014. Les dépenses globales en santé par habitant en Suède ont crû ces dernières années, les dépenses privées (surtout remboursables) augmentant plus vite que les dépenses publiques, quoique les dépenses remboursables demeurent plusieurs points de pourcentage en deçà de la moyenne de l’OCDE. OCDE, Country Note: How does health spending in Sweden compare?, 7 juillet 2015.
6. Demoskop, Allmänheten om välfärdsföretag, Undersökningen är genomförd av Demoskop på uppdrag av Vårdföretagarna, Totalt har 4 985 intervjuer genomförts, 2016.
7. Le Best Hospitals of Sweden Index (Health Consumer Powerhouse Ltd.) englobe les 60 hôpitaux suédois dotés d’une salle d’urgence. À ceux-ci peuvent s’ajouter environ 25 autres hôpitaux de soins spécialisés. Aucune définition suédoise officielle ne précise le sens d’« hôpital ». Göran Persson, Driftsformer för offentligt finansierade sjukhus, Proposition 2004/05:145, 2005.
8. Des études montrent que les hôpitaux à gestion privée sont plus efficients que leurs concurrents à gestion publique. Voir Stockholms läns landsting, Benchmarking av akutsjukhusens effektivitet – Kärnverksamheterna på Danderyds sjukhus, Capio S:t Görans sjukhus och Södersjukhuset, 2015; Dagens Medicins rankning av landets sjukhus, « Bästa sjukhuset », 2016.
9. Kommunallag/The Local Government Act (1991:900), chap. 1, par. 1.
10. Le gouvernement suédois verse aussi une petite part du financement, représentant 17 à 20 % des dépenses globales en soins de santé. Proposition gouvernementale en vue du budget national 2017, secteur de dépenses no 9.
11. SFS nr: 1991:900, chapitres 1 et 8.
12. Thomas Pettersson, Blandade ersättningsmodeller vanligare bland landstingen.
13. La Local Government Act établit l’indépendance des autorités locales et régionales élues tandis que la Health and Healthcare Act décrit en termes généraux ce qui peut être exigé en soins de santé publics. SFS nr: 1991:900, chapitre 2; SFS 1982:763.
14. Op. cit., note 4, p. 8.