La tyrannie des bien-pensants
Mon voisin se comporte de manière totalement tyrannique avec son fils. Le petit n’a jamais droit à la parole, ne peut ni jouer avec les autres enfants du quartier ni recevoir ses copains à la maison.
Devrais-je lui offrir un cadeau pour son anniversaire ou bien ignorer l’événement sous prétexte que son père est un affreux dictateur? Faut-il « boycotter » l’enfant parce qu’il est né dans une famille dysfonctionnelle? Ne serait-il pas absurde de dire au petit qu’il ne recevra un cadeau que le jour où son père adoptera un comportement convenable envers lui?
Je vous pose le problème en réponse à un commentaire que des lecteurs m’ont fait parvenir suite à mes deux dernières chroniques sur les échanges commerciaux avec la Chine.
Selon eux, même si acheter des produits chinois augmente notre pouvoir d’achat et ne crée pas de chômage, il faudrait malgré tout boycotter la Chine, car ils jugent « immoral » de faire du commerce avec un pays qui bafoue les droits de l’homme.
Que le gouvernement chinois méprise les droits de l’homme et limite les libertés fondamentales est un fait certain. Or, ce n’est pas avec le gouvernement chinois que nous faisons du commerce, mais bien avec les citoyens de ce pays. Nos importations donnent à des Chinois les moyens de nourrir leur famille et d’éduquer leurs enfants. D’ailleurs, la preuve que le commerce permet à la Chine de se sortir de la misère n’est plus à faire.
Boycotter les produits chinois, c’est boycotter des travailleurs et faire replonger des êtres humains dans la misère. Est-ce cela que les mondialophobes appellent la « solidarité »? Si la possibilité de perdre notre emploi nous rend malheureux, comment peut-on sérieusement affirmer aider les travailleurs chinois avec un boycott qui risque de les mettre sur la paille?
Récompenser le travail
Acheter un produit, c’est récompenser le travail d’un autre être humain, c’est lancer une bouée de sauvetage à celui qui se bat dans des eaux agitées. Le comble de l’absurde serait donc de tourner le dos aux efforts des Chinois en raison de la politique de leur président. C’est aussi insensé que de priver un enfant de son cadeau d’anniversaire parce que son père se comporte en dictateur!
Respecter les droits de l’homme, c’est aussi respecter le droit des Chinois de faire du commerce, d’améliorer leur niveau de vie et leurs perspectives d’avenir. Par contre, fermer nos frontières, c’est ajouter l’oppression économique à l’oppression politique qu’ils subissent déjà. Est-ce que là ce que souhaitent tous ceux qui jouent les vierges offensées devant les importations chinoises?
Et puis, n’est-ce pas précisément en aidant les Chinois à se sortir de la misère qu’on leur permet de se libérer de l’oppression?
Une personne affamée se soucie d’abord de trouver à manger avant de revendiquer davantage de liberté. Ce n’est qu’après avoir satisfait ses besoins primaires et s’être ouvert au reste du monde que l’être humain peut se consacrer à la défense des nobles causes.
Les défenseurs des droits de l’homme devraient donc encourager les échanges commerciaux et non s’y opposer! Ils devraient surtout ignorer les bien-pensants qui proposent d’appliquer une tyrannie économique pour exprimer leur désapprobation de la politique intérieure chinoise.
Selon l’article 2 de la Constitution chinoise de 1982: « Tout le pouvoir appartient au peuple. » Importer des produits chinois est une manière de donner au peuple le pouvoir de se prendre en main. Lui refuser cette opportunité, voilà ce qui est immoral!
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.