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Hydrocarbures au Québec : une interdiction mal avisée

Note économique montrant comment le gouvernement mine le potentiel de développement économique du Québec ainsi que son rôle dans la transition énergétique mondiale

Selon les auteurs de cette publication, le dépôt par le gouvernement québécois du projet de loi 21 visant à interdire l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures aura des conséquences néfastes sur le potentiel de développement économique du Québec et sur son rôle dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre mondiales.

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Cette Note économique a été préparée par Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’IEDM, et Miguel Ouellette, directeur des opérations et économiste à l’IEDM. La Collection Énergie de l’IEDM vise à examiner l’impact économique du développement des diverses sources d’énergie et à réfuter les mythes et les propositions irréalistes qui concernent ce champ d’activité important.

Le dépôt par le gouvernement québécois du projet de loi 21(1) visant à interdire l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures aura des conséquences néfastes sur le potentiel de développement économique du Québec et sur son rôle dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales. Tandis que le gouvernement fédéral n’empêche pas le développement du secteur des hydrocarbures(2), ce qui permet aux entrepreneurs de stimuler l’économie canadienne, les partis politiques provinciaux présents à la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles, eux, cautionnent de façon unanime(3) cette loi et, par extension, l’expropriation des entreprises œuvrant dans le secteur des hydrocarbures, faisant fi des besoins énergétiques de la province et du respect de la propriété privée.

Besoins énergétiques

Les besoins énergétiques du Québec sont considérables, cependant les décisions politiques successives font en sorte qu’il n’y a aucune exploitation ou exploration d’hydrocarbures dans la province(4). Et comme le Québec n’exploite ni gaz naturel ni pétrole, la province dépend exclusivement des importations(5).

Les besoins en pétrole sont un élément important des besoins énergétiques de la population québécoise. Les importations de pétrole liées à l’approvisionnement et l’utilisation de la province pour l’année 2019, soit avant la réduction de la demande liée à la pandémie, s’élèvent à plus de 202 000 barils par jour, en moyenne(6).

Qui plus est, le gaz naturel occupe également une part importante de l’énergie consommée au Québec (13 %)(7). Comme la province ne produit pas de gaz naturel de façon commerciale(8), malgré ses réserves substantielles(9), cette ressource ainsi que le pétrole sont importés principalement de l’Ouest canadien et des États-Unis(10), pour une somme de plusieurs milliards annuellement(11) (voir la Figure 1). La consommation de gaz naturel de la province pour l’année 2021 s’est élevée à plus de 6,1 milliards de mètres cubes, pour un coût approximatif de plus d’un milliard dollars(12). Étant donné de tels besoins énergétiques, les politiques actuelles du gouvernement québécois sont inadéquates : les ressources en gaz naturel récupérable de la vallée du Saint-Laurent à elles seules seraient suffisantes pour répondre à la demande intérieure pendant au moins 40 ans(13).

Globalement, comme nous le verrons dans la section suivante, les décisions politiques en matière d’hydrocarbures freinent le développement économique du Québec, et par extension celle des régions où l’on retrouve ces ressources. Ces dernières années ont été marquées par un flou réglementaire entourant l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures dans la province, culminant au projet de loi 21, qui les interdit.

Évolution du flou réglementaire

Afin d’encadrer l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures(14), l’Assemblée législative du Québec a adopté en 2016 le projet de loi 106 proposé par le gouvernement libéral, devenu la Loi concernant la mise en œuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives. Cette loi costaude regroupait un ensemble de lois, dont la Loi sur les hydrocarbures(15). Elle avait pour but d’assurer des pratiques sévères en matière de protection de l’environnement à travers une réglementation stricte(16).

En 2018, après l’entrée en vigueur de cette loi, une modification a été apportée à la Loi sur les hydrocarbures afin d’interdire l’exploitation de gaz de schiste au Québec, ce qui a mené à une bataille juridique puisque des entreprises détenaient déjà des permis et respectaient la loi(17). De telles décisions nuisent à la prévisibilité du cadre réglementaire et sont donc néfastes pour les investissements liés au secteur. Devant l’insécurité grandissante, les entreprises y réfléchiront à deux fois avant de s’embarquer dans un projet d’hydrocarbures au Québec, après le revers de l’île d’Anticosti(18) et l’interdiction d’exploitation de gaz de schiste, pour ne nommer que cela.

Le refus du projet Galt no 6 est un exemple clair de décision arbitraire du gouvernement provincial. Après avoir été soutenu financièrement par Ressources Québec en 2017(19), le projet a essuyé un refus de la part du ministre des Ressources naturelles(20). Ce refus s’explique difficilement puisque deux notes sous-ministérielles recommandaient d’accepter le projet, jugé conforme au terme de l’analyse technico-environnementale effectuée par un ingénieur indépendant(21). La Cour du Québec a décidé d’invalider la décision ministérielle, car le ministre n’a pas démontré que sa décision avait été prise, à tout le moins en partie, en fonction de considérations techniques et scientifiques(22). La Cour émet une mise en garde : la décision du ministre doit être fondée sur des aspects techniques, sans quoi celle-ci risque d’être arbitraire(23).

À la suite de ce jugement, le cabinet du ministre des Ressources naturelles assure vouloir déposer le plus rapidement possible un projet de loi interdisant l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures (le projet de loi 21), mais avance du même coup que les dossiers seraient supposément traités séparément(24). Ce projet de loi aura pour effet d’exproprier les pétrolières et gazières de façon inéquitable puisqu’elles n’ont pas enfreint la loi. Pour compenser les ressources financières et humaines investies par ces entreprises, le gouvernement propose de rembourser une partie de ces investissements, à hauteur de 75 % des coûts de fermeture des puits ainsi que le rachat des permis octroyés lors des dernières années(25). Une compensation liée aux retombées économiques potentielles est complètement écartée, voire ridiculisée par le ministre des Ressources naturelles, qui qualifie le potentiel d’hydrocarbures de « récit homérique »(26).

Mais l’opposition gouvernementale aux hydrocarbures ratisse plus large que l’exploration et l’exploitation sur le territoire québécois(27). En effet, le refus en 2021 du projet Énergie Saguenay démontre une fois de plus l’incertitude des projets dans le secteur des hydrocarbures. Ce projet consistait à liquéfier le gaz naturel venu de l’Ouest aux fins d’exportation outre-mer(28). L’objectif : fournir une ressource moins polluante que le charbon pour réduire les émissions mondiales de GES(29). Ce projet d’usine de liquéfaction au Saguenay avait un potentiel de retombées économiques et environnementales importantes(30). N’oublions pas que ce sont les régions qui auraient pu bénéficier de ce projet, régions qui ont un PIB par habitant sous la moyenne provinciale(31). Aussi, de telles décisions laissent planer l’incertitude pour tous les secteurs de l’extraction de ressources naturelles.

La position gouvernementale est manifestement en défaveur du secteur des hydrocarbures; cela s’explique du fait qu’elle ne tient compte que des répercussions locales de l’exploitation plutôt que de l’ensemble des bienfaits environnementaux internationaux, sans compter les avantages économiques pour la province.

Un projet de loi aux lourdes conséquences environnementales et économiques

Au cours des prochaines années, la demande énergétique mondiale sera croissante, notamment pour les hydrocarbures(32). En effet, les projections affichent une hausse de 30 % de la demande mondiale en gaz naturel d’ici 2050(33), selon les politiques actuelles, et de 9 % pour le pétrole d’ici 2045(34), une occasion de croissance économique colossale que le gouvernement provincial ne peut se permettre de balayer du revers de la main. Pour assurer la réduction des émissions de GES, le gaz naturel devra faire partie intégrante du bouquet énergétique de plusieurs pays où le charbon occupe encore une place importante, puisque le gaz naturel pollue environ deux fois moins que le charbon(35). D’ailleurs, la transition du charbon vers le gaz naturel dans le monde, de 2010 à 2018, a permis d’éviter l’émission de 500 millions de tonnes de CO2(36), ce qui équivaut aux émissions de GES de la province de Québec pendant près de 6 ans(37) au niveau d’émissions de GES de l’année 2019(38) (voir la Figure 2).

Le Québec a le potentiel de jouer un rôle de premier plan avec ses réserves de gaz naturel de 2800 à 8500 milliards de mètres cubes, assez pour remplir de 2,8 à 8,5 milliards de piscines olympiques(39). Le gouvernement devra revoir ses politiques énergétiques pour ne pas empêcher l’exploitation de gaz naturel, qui a le potentiel de réduire les GES mondiaux. Les impacts environnementaux bénéfiques avérés de l’adoption du gaz naturel ont d’ailleurs poussé le gouvernement fédéral à qualifier le GNL « d’énergie propre »(40). L’Union européenne veut également aller de l’avant avec l’étiquetage du gaz naturel comme ressource naturelle « verte » pour décarboner l’économie(41).

La politique énergétique québécoise freine le potentiel de développement économique de la province. Ce potentiel est loin d’être négligeable étant donné nos réserves importantes de gaz naturel et de pétrole. L’exploitation du gaz naturel du gisement Utica au Québec, qui se trouve dans les basses terres du Saint-Laurent(42), entre Montréal et Québec, permettrait à elle seule la création de l’équivalent de 230 000 emplois de qualité pour un an et une hausse du PIB du Québec atteignant jusqu’à 93 milliards de dollars(43).

Si le projet de loi 21 est adopté, le potentiel de développement économique de la province sera réduit et son rôle dans la transition énergétique mondiale sera amoindri. Le gouvernement québécois doit impérativement faire marche arrière avec son projet de loi 21 pour permettre à la province d’être un acteur de premier plan dans l’effort de réduction des émissions de GES mondiales et pour développer une économie forte et résiliente.

Références

  1. Projet de loi 21, Loi visant principalement à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures ainsi qu’au financement public de ces activités, Assemblée nationale du Québec, déposé le 2 février 2022.
  2. Reuters, « Canada’s oil and gas spending expected to rise 22% in 2022 − industry body », 20 janvier 2022.
  3. Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles, Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi visant principalement à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures ainsi qu’au financement public de ces activités – Remarques préliminaires, Assemblée nationale du Québec, 22 février 2022.
  4. Johanne Whitmore et Pierre-Olivier Pineau, État de l’énergie au Québec : Édition 2022, Chaire de gestion du secteur de l’énergie, HEC Montréal, février 2022, p. 3.
  5. Gouvernement du Québec, ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, Gaz naturel, consulté le 21 février 2022.
  6. Statistique Canada, Tableau 25-10-0063-01 : Approvisionnement et utilisation du pétrole brut et équivalent, 2022.
  7. Johanne Whitmore et Pierre-Olivier Pineau, op. cit., note 4.
  8. Gouvernement du Québec, op. cit., note 5.
  9. Olivier Rancourt, Krystle Wittevrongel et Miguel Ouellette, « Pour des politiques environnementales adaptées à nos régions », IEDM, Note économique, septembre 2021, p. 3.
  10. Gouvernement du Québec, ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, Importations de Gaz naturel, consulté le 21 février 2022.
  11. Gouvernement du Québec, ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, Énergie, Statistiques énergétiques, Importations et exportations de pétrole brut, consulté le 1er mars 2022.
  12. Calcul des auteurs. Statistique Canada, Tableau 25-10-0055-01 : Approvisionnements et utilisations du gaz naturel, mensuel (données en milliers) (x1000), 2022; U.S. Energy Information Administration, Natural Gas, Data, Natural Gas Spot and Futures Prices (NYMEX), février 2022.
  13. Gouvernement du Québec, ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs, Études sur les retombées économiques du développement de l’industrie du gaz de schiste dans les basses terres du Saint-Laurent, 7 octobre 2013, p. 18.
  14. Guy Bourgeois, Journal des débats de l’Assemblée nationale – 41e législature, 1re session – Le mardi 4 octobre 2016, consulté le 25 février 2022.
  15. Projet de loi 106, Loi concernant la mise en œuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives, Assemblée nationale du Québec, sanctionnée le 10 décembre 2016.
  16. Pierre Arcand, Journal des débats de l’Assemblée nationale − 41e législature, 1re session – Le mercredi 8 juin 2016, consulté le 21 février 2022.
  17. Alexandre Shields, « Gaz de schiste : une gazière poursuit Québec », Le Devoir, 12 novembre 2018.
  18. Martin Croteau, « Hydrocarbures sur Anticosti : la réputation du Québec mise à mal », La Presse, 6 février 2016.
  19. Radio-Canada, « 8,4 M$ supplémentaires de Québec dans la pétrolière Junex en Gaspésie », 4 août 2017.
  20. Joane Bérubé, « Québec ferme le robinet du pétrole gaspésien », Ici Radio-Canada, 28 avril 2021.
  21. Cour du Québec, Gaspésie énergies Inc. c. ministère des Ressources naturelles et Procureur général du Québec et Centre québécois du droit de l’environnement, 12 novembre 2021, p. 24-25.
  22. Ibid., p. 84-85.
  23. Ibid., p. 81.
  24. Pierre Chapdelaine de Montvalon et Johanne Bérubé, « Gaspé Énergies : un jugement favorable mais à portée limitée », Radio-Canada, 16 novembre 2021; Projet de loi 21, op. cit., note 1.
  25. Ibid., art. 35, alinéa 3.
  26. Vincent Larin, « Interdire l’exploitation du pétrole coûtera 100 millions $, prévoit Québec », TVA Nouvelles, 2 février 2022.
  27. Radio-Canada, « GNL Québec : le gouvernement rejette le projet », 21 juillet 2021.
  28. Énergie Saguenay, Le développement du projet Énergie Saguenay, consulté le 21 février 2022.
  29. Idem.
  30. Patrice Bergeron, « GNL-Québec apporterait énormément à l’économie, selon Québec », La Presse, 23 septembre 2020.
  31. Olivier Rancourt, Krystle Wittevrongel et Miguel Ouellette, op. cit., note 9, p. 3.
  32. Agence Internationale de l’Énergie, World Energy Outlook 2021, octobre 2021, p. 184.
  33. Ibid., p. 231.
  34. Miguel Ouellette, « Le Canada doit revoir sa stratégie en matière d’oléoducs », IEDM, Note économique, février 2021, p. 3.
  35. U.S. Energy Information Administration, How much carbon dioxide is produced when different fuels are burned?, consulté le 21 février 2022.
  36. Agence Internationale de l’Énergie, The Role of Gas in Today’s Energy Transitions, World Energy Outlook special report, juillet 2019, p. 8.
  37. Calcul des auteurs : 500 M (tonnes de GES éviter par la transition du charbon vers le gaz naturel) / 84,3 M (tonnes de GES émises par le Québec en 2019) = 5,93 années d’émission de GES du Québec (niveau de 2019).
  38. Gouvernement du Québec, ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, GES 1990-2019 : Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2019 et leur évolution depuis 1990, 2021, p. 9.
  39. Olivier Rancourt, Krystle Wittevrongel et Miguel Ouellette, op. cit., note 9, p. 3.
  40. Alexandre Shields, « Le gouvernement Trudeau qualifie le gaz naturel liquéfié d’“énergie propre” », Le Devoir, 16 mars 2021.
  41. Alexandre Shields, « Le Canada veut vendre plus de gaz naturel en Allemagne », Le Devoir, 1er janvier 2022.
  42. Gouvernement du Québec, Énergie et Ressources naturelles, Shale d’Utica, consulté le 25 février 2022.
  43. Olivier Rancourt, Krystle Wittevrongel et Miguel Ouellette, op. cit., note 9, p. 4.
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