Trop réduire les prix des médicaments les rendra moins accessibles
Santé Canada entend changer la façon dont le prix des nouveaux médicaments brevetés est établi et réduire jusqu’à 70 % le prix maximum auquel ceux-ci peuvent être vendus.
Les malades pourraient payer très cher cette réforme. Si elle va néanmoins de l’avant et qu’elle ne tient pas compte des effets pervers des systèmes de prix de référence, qui sont désormais bien documentés par divers organismes internationaux, les Canadiens pourraient voir leur accès aux nouveaux médicaments ralenti ou même compromis.
Une sélection de pays biaisée
Au Canada, le prix plafond des médicaments est fixé par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB), un organisme fédéral. Parmi ses critères, le CEPMB tient compte des prix en Allemagne, aux États-Unis, en France, en Italie, en Suède, en Suisse et au Royaume-Uni, des pays dont l’économie est similaire à la nôtre et où un nombre comparable de médicaments sont disponibles.
La réforme vise à changer cette liste. On enlèvera les États-Unis et la Suisse, où les prix des médicaments sont élevés, pour les remplacer par l’Australie, la Belgique, la Corée du Sud, l’Espagne, le Japon, la Norvège et les Pays-Bas, où les prix sont généralement plus bas. Santé Canada n’a d’ailleurs pas caché ses intentions : elle a uniquement choisi des pays où les prix des médicaments sont réglementés.
Pourtant, le résultat ne sera pas seulement de faire baisser les prix. Une hausse des délais de lancement des nouveaux médicaments sera à prévoir.
Il s’agit simplement d’une question d’incitations : les fabricants seront évidemment portés à donner la priorité aux pays où les prix sont plus élevés afin de financer les importants coûts de recherche et de recouper leurs investissements. En conséquence, là où les prix sont trop faibles, les lancements de nouveaux médicaments ont lieu plus tard.
L’utilisation des prix dans les pays étrangers accentue ce phénomène : puisque ces prix peuvent ensuite être utilisés comme référence dans d’autres pays, les fabricants seront encore une fois portés à retarder les lancements dans les pays où les prix sont trop faibles. Ce phénomène a été documenté entre autres en Belgique, où les médicaments sont souvent lancés tardivement, puisque les prix y sont moins élevés. D’ailleurs, les délais sont plus longs qu’au Canada dans quatre des sept nouveaux pays ajoutés par Santé Canada au panier de comparaison canadien.
Les Canadiens sont présentement choyés lorsqu’il est question de lancements de nouvelles molécules. Entre janvier 2011 et août 2018, 21 % des nouveaux médicaments vendus au Canada, soit 77 nouvelles molécules, ont été soit uniquement lancés au Canada et aux États-Unis, soit y ont été lancés avant les autres marchés majeurs, c’est-à-dire la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni.
Une baisse du prix maximum allant jusqu’à 70 % pourrait très bien nous catapulter à la fin de la séquence de lancement : le lien entre la réglementation des prix et le rang dans la séquence de lancement est en effet bien documenté.
Pour les médicaments traitant le cancer, le délai médian avant de lancer les médicaments est de 11 mois, ce qui place le Canada au 8e rang d’une étude s’intéressant à 69 pays entre janvier 2011 et août 2018. Pour les médicaments du système nerveux central, c’est 16 mois, et 26 pour le diabète. Cela est entre autres dû au fait que les nouveaux médicaments sont déjà soumis à l’approbation de Santé Canada six mois après avoir été soumis une première fois aux États-Unis ou en Europe. Un abaissement forcé des prix pourrait entraîner des délais additionnels, puisque le Canada deviendrait moins attrayant pour les fabricants.
La réforme proposée par Santé Canada ouvre aussi la porte aux révisions des prix en continu.
Cette menace ne concernerait pas uniquement le lancement de nouveaux médicaments, mais aussi les médicaments déjà vendus. En Bulgarie, ce genre de révision a provoqué le retrait du marché de 200 médicaments en 2012.
D’abord, ne pas nuire
Un des enseignements les plus élémentaires de la science économique est que le plafonnement des prix provoque des pénuries. L’utilisation d’un processus bureaucratique de prix de référence ne change rien à cette vérité toute simple. Le CEPMB ne devrait pas pouvoir retarder l’accès des Canadiens aux innovations pharmaceutiques, encore moins les en priver. Rompre le lien fragile entre les signaux de prix et les innovations pourrait avoir des conséquences néfastes pour l’accès des malades aux médicaments.
Mathieu Bédard est économiste à l’Institut économique de Montréal. Il est l’auteur de « Trop réduire les prix des médicaments les rendra moins accessibles » et signe ce texte à titre personnel.
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