Droits de scolarité postsecondaire – Vous avez dit « gratuit »?
En collaboration avec Miguel Ouellette*
La fausse bonne idée de rendre l’éducation supérieure « gratuite » au Québec a encore refait surface récemment, après que des politiciens eurent promis de l’instaurer s’ils sont élus. Une telle politique, coûteuse pour les contribuables, ne favoriserait pas nécessairement la diplomation des étudiants, en plus d’être inéquitable.
Le concept même de « gratuité » est trompeur lorsqu’il est question d’éducation ; il s’agit plutôt de financer les études supérieures par les contribuables, au lieu des étudiants qui bénéficient directement du service. Déjà, la contribution financière de ceux-ci sous forme de droits de scolarité et frais afférents, qui s’élèvent à un peu plus de 3700 $ par étudiant par année à l’université, ne représente que 16 % des revenus des universités du Québec.
Malgré tout, l’abolition des droits de scolarité et frais afférents au collégial et à l’université coûterait au bas mot 1,1 milliard de dollars si elle ne s’appliquait qu’aux étudiants québécois, et 1,3 milliard si on l’étendait aux étudiants canadiens et étrangers, en supposant que le nombre d’étudiants demeure constant. Vous avez dit « gratuit » ?
Riches en étudiants, pauvres en diplômés
La décision des étudiants de fréquenter un établissement d’éducation supérieure dépend avant tout de leurs aptitudes, de leurs intérêts et de leurs environnements familial et social. Ces facteurs et d’autres expliquent la quasi-totalité de l’écart entre le taux de fréquentation des étudiants issus des milieux moins favorisés et ceux venant de familles mieux nanties ; les contraintes financières, elles, n’en expliquent que 12 %.
De plus, bien que l’accessibilité aux études supérieures reste importante en soi, l’aspect déterminant dans l’analyse des politiques qui la concernent demeure la diplomation.
Sous cet aspect, la démonstration du lien entre le coût pour l’étudiant et l’accessibilité de l’éducation supérieure reste à faire. Le Québec est, après Terre-Neuve-et-Labrador, la province où les droits de scolarité et frais afférents sont les moins élevés ; pourtant, le pourcentage d’individus de 25 à 34 ans titulaires d’un diplôme universitaire est nettement sous la moyenne canadienne. En comparaison, l’Ontario compte proportionnellement plus de diplômés qu’au Québec dans cette tranche d’âge (68 %, contre 57 %), même si les droits et frais y sont plus du double.
Différents facteurs, par exemple culturels ou démographiques, peuvent expliquer la différence dans la proportion de la population qui poursuit des études supérieures. Au Québec, à l’intérieur du même système d’éducation, les francophones affichent un taux de diplomation universitaire inférieur à celui de leurs concitoyens anglophones ou allophones.
Le Québec affiche une bonne performance en ce qui a trait à la fréquentation des universités, mais le décrochage des études supérieures demeure élevé ; nous sommes riches en étudiants, mais pauvres en diplômés. Rendre les études supérieures « gratuites » ne réglerait pas ce problème.
À qui profitent les études supérieures?
En outre, l’étudiant est le principal bénéficiaire de ses études. Au Québec, le revenu médian des titulaires de diplômes universitaires est d’environ 79 000 $ par an, contre 42 000 $ pour ceux détenant un diplôme secondaire, et un peu plus de 56 000 $ pour des travailleurs ayant une formation collégiale. Comment l’État pourrait-il justifier de demander encore plus d’argent aux quelque 71 % de Québécois ne détenant pas de diplôme universitaire afin de payer en grande partie pour les coûts des études des futurs mieux nantis ?
Enfin, et c’est peut-être un des arguments les plus importants contre l’instauration d’une sorte de gratuité de surface, les élèves moins fortunés voient déjà leurs études financées par l’État : un étudiant de premier cycle universitaire dont le salaire annuel combiné des parents est de 50 000 $ recevra 6200 $ en aide financière, dont 3650 $ en bourses.
Cet étudiant pourra payer presque l’entièreté de ses droits de scolarité et frais afférents seulement avec les bourses.
L’éducation n’est pas gratuite. L’État y consacre des milliards chaque année, à même les taxes et impôts payés par l’ensemble des contribuables. En plus d’être coûteuse, inefficace et inéquitable, l’abolition des différents droits et frais enverrait un mauvais signal quant au coût et à la valeur de l’éducation supérieure dans une province qui accuse déjà un retard en la matière.
Si c’est l’équité et la valorisation de ces études qui sont recherchées, une mesure telle que la modulation des droits de scolarité en fonction du coût des formations, assortie d’un ajustement correspondant de l’aide financière aux étudiants qui en ont besoin, serait une politique plus avisée.
Alexandre Moreau est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal, Miguel Ouellette est chercheur à l’IEDM. Ils sont les auteurs de « Éducation supérieure : le vrai coût de la «gratuité» » et signent ce texte à titre personnel.
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