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Textes d'opinion

Note au ministre Proulx : oui à l’évaluation, non à l’ordre professionnel

Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, lance un livre aujourd’hui, Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire. Le simple fait qu’un politicien en exercice ait pris son congé des fêtes pour produire un effort de réflexion soutenu sur les politiques publiques dont il est le responsable mérite des félicitations, d’autant plus que les performances de notre système d’éducation laissent à désirer. (Notons aussi l’effort du député caquiste Jean-François Roberge, qui a lui aussi pondu un ouvrage sur le même sujet il y a quelques années.)

Selon différents médias, le ministre Proulx propose entre autres que l’obtention d’une maîtrise soit dorénavant nécessaire pour enseigner au primaire et au secondaire, ainsi que la création d’un ordre professionnel des enseignants. Le ministre propose aussi d’évaluer les professeurs. À mon humble avis, et sous réserve de lire le livre en entier, le ministre Proulx pose généralement le bon diagnostic, mais, pour ce qui est de certaines solutions, il prend le problème à l’envers.

Ouvrir la profession

La création d’un ordre professionnel est la dernière chose dont la profession d’enseignant a besoin si on veut lui insuffler rapidement du dynamisme. C’est déjà une erreur d’exiger un baccalauréat en enseignement pour tous les professeurs, alors qu’il était auparavant possible pour les détenteurs d’un baccalauréat dans une autre discipline (en anglais, en histoire, en droit) d’y ajouter un certificat en pédagogie. En rendant l’accès à la profession plus difficile, on se prive inutilement de bons candidats. Les meilleures pratiques vont dans le sens contraire.

Aux États-Unis et en Angleterre, des organismes comme Teach for America et Teach First cherchent des candidats motivés détenant un baccalauréat et présentant un excellent dossier scolaire – peu importe le domaine d’études – et les forment eux-mêmes en quelques semaines, pour les envoyer ensuite dans des milieux défavorisés pendant deux ans. Le défi attire des jeunes ambitieux et dévoués, et le modèle a maintenant fait des petits dans plus d’une trentaine de pays. Le Québec, qui commence à manquer de professeurs, devrait s’en inspirer.

Quant à l’idée d’obliger les enseignants à détenir une maîtrise, il est inutile d’augmenter les exigences si on peine toujours à attirer les meilleurs candidats. Présentement, dans nos universités, les facultés d’éducation sont celles qui accueillent les étudiants les plus faibles. Leur demander un diplôme de plus ne changera pas le problème à l’entrée!

Pénurie et précarité

Le problème de la relève enseignante s’est considérablement aggravé au cours des dernières années, de sorte qu’il commence à être question non plus seulement de pénurie de bons candidats, mais de pénurie tout court, ce qui n’est pas surprenant quand on sait que le quart des jeunes professeurs décrochent à leur arrivée sur le marché du travail.

La précarité des jeunes professeurs est un phénomène connu. S’il veut l’enrayer, le ministre Proulx devra avoir plus que des « conversations franches et ouvertes », et s’attaquer à l’emprise des centrales syndicales sur la profession d’enseignant. Le mode de rémunération actuel, qui n’a aucun lien avec la performance, ne valorise pas le travail des meilleurs éléments, en plus de rendre la profession moins attirante.

L’instauration de mesures d’évaluation des professeurs est une excellente idée, mais il faut aller plus loin. Les écoles devraient pouvoir embaucher directement leur personnel sans passer par les commissions scolaires (comme le font les écoles privées) et elles devraient pouvoir le faire selon leurs propres critères, pour ne pas que les nouveaux profs ne ramassent toujours que les miettes, souvent à quelques jours du début des classes.

Si on veut améliorer le niveau général des enseignants, il faut donner les moyens aux directions d’école de congédier les mauvais professeurs. À ceux qui poussent de hauts cris à l’évocation de cette idée, je réponds que je ne doute aucunement du dévouement et du professionnalisme de la très grande majorité des enseignants, mais que les dégâts occasionnés par quelques pommes pourries sont rapidement multipliés par le nombre d’élèves qu’ils croisent, sans compter l’impact négatif sur le climat de travail et la motivation de leurs collègues.

Est-il normal qu’il n’y ait, en moyenne, qu’environ un seul congédiement par année pour incompétence pour les presque 60 000 enseignants permanents que compte le Québec? À titre d’exemple, le nombre est le même pour les congédiements impliquant des enseignants violents ou encore des agissements de nature sexuelle…

Le ministre Proulx met le doigt sur le nœud du problème lorsqu’il mentionne que « notre société compte plus de gardiens du statu quo que d’accélérateurs de changement ». C’est à cela qu’il devrait s’attaquer en premier. Et il est mieux de s’équiper, parce qu’il va faire face à de la résistance.

Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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