Fonction publique : le faux big bang d’Emmanuel Macron
En collaboration avec Nicolas Lecaussin*
Le « big bang » annoncé de la réforme de l’administration a déjà suscité une levée de boucliers de toutes parts. L’objectif du président de la République est de baisser le nombre de fonctionnaires de 120 000 (50 000 pour l’État, 70 000 pour les autres collectivités publiques) sur toute la durée du mandat présidentiel, et d’atteindre un budget équilibré à l’horizon 2022. Pour se cantonner au seul État, 50 000 suppressions de postes sur cinq ans, ce n’est vraiment pas beaucoup : cela représente tout juste 2,09 % de l’ensemble des effectifs de la fonction publique d’État (2 393 millions d’agents exactement), soit environ un effort annuel de réduction de 0,42 %.
Ces annonces sont très peu ambitieuses par rapport à l’enjeu que pose la situation de l’organisation de la fonction publique en France. Les problèmes de finances publiques sont connus et constamment rappelés par l’OCDE et la Cour des comptes : la France est dans le top 5 des pays de l’OCDE pour son endettement, son fardeau fiscal, tandis qu’elle est la championne des dépenses publiques ! En revanche, ce qui est moins connu, c’est que l’organisation de son État est aussi anormalement coûteuse et lourde dans son fonctionnement. La France est septième au classement de la part des employés publics sur l’emploi total : il y a deux fois plus d’agents publics en proportion de l’emploi total qu’en Allemagne. Les services publics sont également parmi les plus coûteux des pays de l’OCDE.
Cette situation n’est pas une fatalité et le président de la République a pris la mesure du problème en mettant la réforme de l’État à son agenda. Cependant, on mesure très vite le gouffre qui existe entre les propositions qui ont été formulées et les réformes nécessaires, d’autant plus qu’elles feront encore très certainement l’objet de modifications les vidant de leur contenu après la mobilisation de groupes d’intérêts organisés. Lors du vote du dernier budget, le gouvernement n’avait finalement supprimé que 1 600 postes de fonctionnaires au lieu des 10 000 prévus pour l’année 2018… À ce rythme-là, il faudra un peu plus de 31 ans jusqu’en 2049 au président Macron (et à tous ses successeurs à condition qu’ils ne dérogent pas !) pour parvenir à ses (leurs) fins ! Et pas moins de 133 ans pour égaler les 10,57 % d’emploi public en Allemagne. Cela correspond à 27 présidences !
De même, c’est très loin de ce qu’a fait le Canada au cours des années 1990 et 2000. Le Canada vivait une crise similaire des finances publiques dans les années 1990. Le gouvernement de Jean Chrétien élu en 1993 sous les couleurs du Parti libéral (centre) a pris la mesure du problème et a décidé de mener un train de réformes tous azimuts avec une vision d’ensemble : mettre tous les ministères, mais aussi les échelons du gouvernement, à contribution pour résoudre le problème de la dette et des dépenses publiques. Pour ce faire, les grands moyens ont été employés : à la fin de son deuxième mandat en 1999, 75 000 postes dans l’administration fédérale avaient été supprimés, soit près d’un cinquième des effectifs. Certes, ces chiffres ont de nouveau augmenté par la suite, et la situation est assez disparate selon les provinces, mais il n’en demeure pas moins que la part des employés de l’ensemble des provinces du Canada avait baissé de plusieurs points au bénéfice de l’emploi privé lorsque Jean Chrétien a quitté le pouvoir en 2003 après avoir été réélu deux fois.
Au-delà de la question du nombre de fonctionnaires, il est important de voir que le gouvernement français renonce aussi à un aspect crucial de la réforme de l’État : les modes de recrutement des cadres de la fonction publique et de la gestion des ministères. Le système des grands corps, le monopole de plusieurs écoles sur la sélection des élites et le mode de recrutement par concours ont des conséquences néfastes sur la direction des politiques publiques. Ils déconnectent le personnel politique de la réalité du terrain, car celui-ci ne peut pas s’enrichir de l’expérience de personnes issues du privé étant donné la prédominance du personnel administratif dans les cabinets administratifs et la centralisation du processus de décision. Le Canada a aussi réformé son État dans ce sens-là : la loi sur l’emploi public de 2003 permet de décentraliser le recrutement en laissant l’autonomie aux chefs de service pour choisir leurs collaborateurs. Depuis, les carrières des agents de la fonction publique sont basées davantage sur le mérite que sur leurs diplômes, ce qui permet une gestion plus souple de la main-d’œuvre et de mieux répondre aux besoins de la population.
Les pistes du gouvernement, si elles vont dans le bon sens, ne prennent pas la mesure de l’ampleur du problème auquel est confronté l’État français. Il ferait bien de chercher des idées auprès de pays comme le Canada qui ont réformé leur État de manière en même temps ambitieuse et consensuelle.
Kevin Brookes est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal, Nicolas Lecaussin est directeur de l’IREF (Institut de Recherches Economiques et Fiscales, Paris). Ils signent ce texte à titre personnel.
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