Une autre brèche dans le monopole de la SAQ?
L’Australie plaidera sa cause contre le monopole de la SAQ devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le pays des kangourous reproche au Québec sa loi autorisant les épiciers et les dépanneurs à vendre du vin des producteurs québécois sans passer par la SAQ (depuis décembre 2016), jugeant qu’elle accorde un traitement de faveur à ces produits. Les vignerons californiens avaient aussi récemment demandé au gouvernement du Québec de modifier cette loi, pour les mêmes raisons.
Il y a un an, un expert prédisait déjà que « le Québec pourrait faire face à une contestation internationale ». En effet, bien que certains vins australiens et californiens soient disponibles depuis longtemps dans nos dépanneurs et nos épiceries, les règles qui s’appliquent à ces vins sont bien différentes de celles qui prévalent pour les vins québécois.
D’abord, les vins québécois vendus par l’entreprise privée ne sont plus sujets à la majoration de la SAQ, puisque la société d’État ne sert pas d’intermédiaire. Les producteurs de vins québécois font directement affaire avec les épiceries, contrairement aux vins importés, qui passent obligatoirement par le monopole public. Le prix des vins étrangers inclut donc la majoration de la SAQ, tout comme les vins vendus dans ses propres succursales. Cette majoration a un énorme impact, puisqu’elle fait plus que doubler le prix de la bouteille.
Ensuite, alors que les vins québécois peuvent être embouteillés chez le viticulteur (comme la plupart des vins qu’on retrouve à la SAQ), les vins étrangers vendus dans les dépanneurs et épiceries doivent être importés en vrac et embouteillés au Québec. Même si les importateurs et les embouteilleurs peuvent maintenant révéler le cépage, on leur interdit toujours de dire exactement où le raisin a poussé, mis à part quelques exceptions pour des appellations phares, dont « Bordeaux ». Cette restriction ne s’applique pas aux vins québécois, qui peuvent indiquer sur la bouteille où se trouve le vignoble.
L’Australie considère donc que ses vins reçoivent un traitement inéquitable, puisqu’ils sont désavantagés à la fois sur le prix et sur la mise en marché. Il est difficile de lui donner tort.
Vers une ouverture à la concurrence?
Bien que la nouvelle loi québécoise soit imparfaite, elle a tout de même simplifié la mise en marché du vin d’ici et pourrait contribuer à ce que notre industrie vinicole se développe enfin. Mais surtout, elle pourrait bien mener, un jour, à une plus grande ouverture à la concurrence pour le marché des vins étrangers.
Le Canada fait en effet l’objet d’une autre poursuite. Une mesure semblable à celle décrite plus haut, en Colombie-Britannique, a mené cette fois les États-Unis à porter plainte devant l’OMC en octobre dernier.
Si l’OMC donne raison aux États-Unis dans ce dossier ou, en ce qui concerne le Québec et trois autres provinces, à l’Australie, les provinces devront mettre les produits locaux et les produits étrangers sur un pied d’égalité. Cela pourrait autoriser la vente de vins étrangers dans les épiceries, sans les restrictions qu’elles imposent actuellement. Ce n’est pas la seule issue possible : les provinces pourraient aussi décider de revenir en arrière et sabrer ces réformes permettant la vente des vins locaux en supermarché, plutôt que de faire plus de place aux vins étrangers. Ce serait malheureux.
Toutefois, dans le contexte où la commission Robillard recommandait de mettre fin au monopole de la SAQ, et puisque le ministre des Finances Carlos Leitão a déjà affirmé étudier des scénarios allant dans ce sens, on peut espérer qu’à long terme, l’arrivée des vins québécois sur les rayons des supermarchés aura contribué (très indirectement) à ouvrir ce marché à la concurrence. Tant mieux, laissons de la place aux petits entrepreneurspour nous surprendre et innover sur le marché de l’alcool au Québec!
Mathieu Bédard est économiste à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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