L’affaire Comeau : si les politiciens écoutaient les citoyens
Lors des derniers jours, la Cour suprême du Canada a entendu une multitude d’intervenants dans le cadre de la cause Comeau. À mon humble avis, il s’agit d’un moment décisif dans l’histoire du Canada puisque le jugement final pourrait contribuer à faire tomber les nombreuses barrières au commerce qui subsiste entre les provinces.
Avant d’atterrir à la plus haute instance juridique du pays, l’histoire un peu loufoque de M. Gérard Comeau a débuté en 2012 après avoir été arrêté et détenu, en plus de se faire saisir ses achats d’alcool et de recevoir une amende salée de 292,50 $. Son crime? Avoir rapporté chez lui au Nouveau-Brunswick quatorze caisses de bière et trois bouteilles de spiritueux qu’il avait achetées au Québec.
Malheureusement, vous avez bien lu, et il ne s’agit pas d’une anecdote nord-coréenne tirée du Sac de chips…
Bien que la cause porte principalement sur le commerce de l’alcool entre les provinces, les ramifications de la décision de la Cour suprême pourraient être telles que le système de gestion de l’offre (lait, œuf et volaille) s’en trouverait sérieusement affaibli. En effet, les offices de commercialisation provinciaux qui contrôlent la production et le commerce de ces produits pourraient ne pas passer le test. Dans le cas spécifique du Québec, le monopole sur la vente du sirop d’érable en vrac détenu par la Fédération des producteurs acéricoles du Québec pourrait lui aussi tomber.
Quand les provinces se mettent des bâtons dans leurs roues
Les échanges commerciaux entre les provinces représentent une part importante de leurs économies respectives, soit de 31 % en Ontario jusqu’à 71 % pour l’Île-du-Prince-Édouard. Pourtant, les obstacles réglementaires qui sont toujours en place correspondent à ce qu’on obtiendrait si un tarif de 6,9 % était imposé au commerce interprovincial. À titre comparatif, ce taux est beaucoup plus élevé que le tarif moyen canadien sur les importations internationales (1 %), et même que le tarif moyen mondial (2,7 %). Autrement dit, il est souvent plus facile d’exporter vers un autre pays que vers une autre province canadienne.
Ultimement, ce sont les consommateurs et les entrepreneurs qui assument les coûts de ses tarifs sous forme de prix plus élevés et en ayant moins d’opportunités d’affaires. D’après une récente étude mentionnée dans un rapport du Sénat sur les barrières au commerce, la libéralisation du commerce interprovincial pourrait ajouter de 50 à 130 milliards $ au PIB du Canada. En utilisant une estimation mitoyenne de 100 milliards $, les gains économiques représenteraient plus de 2700 $ par Canadien. Ce qui n’est pas rien, considérant que le revenu disponible des Canadiens se situait à un peu moins de 31 800 $ en 2016 et à moins de 27 800 $ au Québec.
Un manque de courage politique
Bien que les avantages économiques soient aussi importants qu’évidents, il est très peu probable que la libéralisation complète du commerce à l’intérieur du Canada passe par l’initiative de nos politiciens. En dépit du nouvel accord sur le commerce interprovincial qui a été signé en avril dernier, plusieurs obstacles au commerce subsistent. En effet, même si le nouvel accord prévoit une harmonisation des règles dans le domaine du camionnage et l’industrie de la construction, ainsi que l’ouverture des marchés publics, les exceptions représentent presque 150 pages sur les quelque 359 pages que contient l’accord.
Alors que la grande majorité des Canadiens (78 %) pensent qu’en 2017, on devrait pouvoir acheter n’importe quelle quantité de bière ou de vin dans une province et l’apporter dans une autre, les procureurs de chaque province se sont succédé devant les juges pour défendre les mesures protectionnistes en place. Pas surprenant que seulement 43 % des Canadiens affirment avoir confiance en ceux qui les gouvernent, comparativement à 53 % un an plus tôt…
Advenant un jugement favorable à Gérard Comeau, les consommateurs qui font toujours les frais des mesures protectionnistes et les entrepreneurs qui se heurtent trop souvent à des réglementations kafkaïennes disposeraient d’un outil juridique qui pourrait contribuer à faire tomber ces murs absurdes entre les provinces d’un seul et même pays.
Alexandre Moreau est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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