Les lunettes roses et la carte de crédit du gouvernement fédéral
La dernière mise à jour économique présentée par le gouvernement fédéral laisse entendre que tout va bien dans l’économie canadienne. Pourtant, l’augmentation des dépenses de l’État alimentera les déficits budgétaires, qui devraient totaliser près de 100 milliards $ d’ici 2023 et s’ajouter à la dette du Canada. De plus, aucun retour à l’équilibre budgétaire n’est prévu. Tout porte à croire que le gouvernement fait fi de la réalité économique à laquelle le Canada fait face.
D’une part, la croissance du PIB depuis 2014 a été principalement soutenue par les dépenses des ménages et du gouvernement, tandis que l’investissement des entreprises a chuté de près de 17 % en termes réels. Cette baisse de l’investissement est généralisée et ne s’explique qu’en partie par la baisse du prix du pétrole. Pendant ce temps, on observe une tendance inverse chez notre principal partenaire économique au sud de la frontière, où la croissance du PIB a été soutenue par une hausse de près de 9 % de l’investissement des entreprises. Même le gouverneur de la Banque du Canada s’est dit inquiet du phénomène. À long terme, cette tendance indique que la productivité des entreprises canadiennes continuera de diminuer relativement à celles de leurs concurrentes aux États-Unis.
D’autre part, le Canada fait généralement piètre figure en ce qui a trait à la facilité d’y faire des affaires lorsqu’on le compare aux États-Unis. Selon la Banque mondiale, le Canada occupe le 22e rang dans le monde, tandis que les États-Unis sont en 8e place. Cependant, le Canada surclasse son voisin pour l’une des composantes-clés de l’indice : le paiement des taxes et impôts (17e contre 36e). Cet avantage, qui a contribué à attirer des investissements au pays au cours des dernières années, pourrait disparaître suite à la réforme fiscale proposée par l’administration Trump. Cette réforme vise en effet à faire passer le taux d’imposition fédéral des entreprises de 35 % à 20 %.
Une réplique appropriée pour le Canada consisterait à adopter un taux d’impôt proportionnel de 10,5 % (et éventuellement de 9 %) pour l’ensemble des entreprises, au lieu de ne réserver ce taux qu’aux PME et d’appliquer un taux plus élevé de 15 % aux grandes entreprises, comme c’est le cas présentement. L’existence de taux différents n’incite pas les entreprises à croître. En appliquant un impôt proportionnel aux revenus des entreprises, peu importe la taille de ces revenus, le gouvernement fédéral améliorerait l’efficacité du régime fiscal des entreprises tout en diminuant leur fardeau.
Le gouvernement devrait aussi considérer l’option de réduire, voire même d’abolir l’impôt sur le gain en capital. Du fait que ce type d’impôt décourage l’investissement privé, chaque dollar de réduction de l’impôt sur le gain en capital entraînerait des gains économiques d’environ 1,30 $, selon une étude réalisée par le ministère des Finances fédéral. Cela en fait le type d’impôt dont l’abolition entraînerait les gains les plus appréciables. De plus, les revenus relativement peu élevés que le gouvernement tire de l’impôt sur le gain en capital n’arrivent pas à justifier son existence. En effet, son abolition entraînerait une diminution de 4,3 milliards $ des recettes fiscales de l’État, soit seulement 1,5 % de ses revenus totaux. Pourtant, le gouvernement fédéral laisse toujours planer le doute sur ses intentions quant à une éventuelle augmentation du taux d’inclusion de l’impôt sur le gain en capital, de 50 à 75 %.
Au lieu de profiter de la vigueur actuelle de l’économie pour réduire le fardeau fiscal et réglementaire des entreprises pour attirer des investissements et assurer la compétitivité des entreprises canadiennes à long terme, le gouvernement a mis ses lunettes roses et sorti la carte de crédit pour offrir des cadeaux à son électorat. C’est d’ailleurs le reproche que l’ancien directeur parlementaire du budget, Kevin Page, a fait au gouvernement suite à la récente mise à jour économique. Il affirmait avec justesse que le gouvernement devrait profiter du contexte favorable pour réduire les déficits au lieu d’annoncer des mesures électoralistes qui n’ont pas de justification économique. Comme la période de forte croissance semble terminée, le gouvernement ferait bien de l’écouter.
Alexandre Moreau est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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