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Textes d'opinion

La réforme Morneau, les riches et les entrepreneurs

La réforme fiscale proposée par le ministre des Finances Bill Morneau vise à faire payer plus d’impôt aux plus riches, plus spécifiquement les professionnels constitués en société (comme les comptables et les avocats) et les propriétaires d’entreprises. Essentiellement, on veut abolir des mesures qui aident actuellement des entrepreneurs et des professionnels à payer moins d’impôt.

D’un côté, le milieu des affaires est quasiment unanime à dénoncer la réforme, certains la qualifiant même d’« insultante » pour ceux « qui ont respecté [les règles] en toute bonne foi pour lancer leur entreprise, épargner en vue de la retraite et parfois même, simplement pour ne pas fermer leurs portes ».

Pourquoi des réactions si fortes? Parce qu’avant de partir à la chasse aux riches, des nuances s’imposent.

Pour justifier sa démarche, le ministre emploie entre autres un énorme sophisme : le revenu moyen est d’environ 49 000 $ au Canada, tandis qu’un professionnel constitué en société et qui gagne 300 000 $ par année peut épargner environ 48 000 $ en impôt en ayant recours à l’une de ces mesures.

Le ministre Morneau laisse ainsi entendre que la plupart des gens qui seront touchés par ces mesures sont très riches et ne paient pas leur juste part d’impôt. Pourtant, tous les entrepreneurs ne sont pas millionnaires, loin de là. Et personne ne commence une carrière d’entrepreneur en étant assuré de gagner 100 000 $, 200 000 $, 300 000 $ par an, pour toujours. Ça prend du talent, beaucoup de travail, un peu de chance aussi.

Au Canada, la moitié des entreprises ne survivent pas à leurs cinq premières années d’existence. Beaucoup d’entrepreneurs ne font en réalité que s’acheter un job. Certains font un peu de profits, à des degrés relatifs. Ceux qui font beaucoup d’argent, les « riches », sont une petite minorité, et cela leur arrive souvent relativement tard dans leur carrière.

Également, 98 % des entreprises canadiennes ont moins de 100 employés. Si on pouvait établir un portrait de l’entrepreneur « moyen », ça ressemblerait davantage à un propriétaire opérant un petit commerce de quartier ou un atelier dans un parc industriel avec une poignée d’employés qu’à un magnat trônant au sommet d’une tour de 30 étages au centre-ville.

Le fait que le ministre mélange les professionnels avec tous les types d’entrepreneurs ajoute à la confusion. Certains professionnels, comme les comptables travaillant à leur compte, doivent développer leur pratique un client à la fois. En ce sens, ils sont de véritables entrepreneurs. D’autres, comme les médecins, n’ont qu’un seul client, l’État, et ne sont pas en concurrence, puisque le nombre de nouveaux médecins fait l’objet d’un contingentement. Ils sont donc assurés d’un revenu élevé dès le début de leur entrée sur le marché du travail.

L’entrepreneur innovateur, celui qui fonde une entreprise comme Rona, Couche-Tard, St-Hubert, CGI, ou même Apple ou Microsoft, se lance sans filet, avec ses économies et ses idées. Pour chaque Alain Bouchard ou Serge Godin, des dizaines d’autres subissent l’échec, vivotent ou prospèrent modérément. Pour être plus clair, l’entrepreneur court un risque que le salarié ne devra jamais assumer. Si on veut que des gens prennent ce risque, qui est nécessaire à notre prospérité, on doit le favoriser.

On peut certainement débattre du cadre fiscal qui doit s’appliquer à une catégorie relativement privilégiée de la population, comme c’est le cas pour certains professionnels. Mais avant de mettre en place toute mesure qui pourrait avoir pour effet de décourager l’entrepreneuriat, le gouvernement aurait intérêt à être prudent et à ne pas faire de petite politique sur le dos des créateurs d’emplois. (Nous faisons d’ailleurs plusieurs suggestions intéressantes pour encourager l’entrepreneuriat dans une publication qui vient de paraître.)

Comme l’a dit Churchill, « certains considèrent l’entreprise privée comme un dangereux tigre à abattre. D’autres la regardent comme une vache qu’ils peuvent traire. Trop peu de gens la voient comme un cheval vigoureux qui tire une remorque robuste ».

Patrick Déry est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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