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Textes d'opinion

Accès aux médicaments: les Nations unies empruntent un dangereux raccourci

Alors que se tenait récemment à Montréal une conférence organisée par le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, les Nations unies publiaient un rapport controversé sur l'accès des pays pauvres aux médicaments. Dans ce rapport, un groupe d'experts recommandait des changements draconiens aux règles entourant les brevets, dans le but de faire diminuer le prix des médicaments. Bien qu'il ne fasse aucun doute que la situation des pays en voie de développement représente une urgence absolue, dans ce cas-ci les bonnes intentions ne se sont pas traduites par de bonnes recommandations de politiques publiques.

Le Groupe de haut niveau sur l'accès aux médicaments, formé par le secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki-moon, avait été formé afin de résoudre le prétendu paradoxe entre les droits des malades et les droits des inventeurs de médicaments. La mission même de ce groupe le dirigeait dans une direction précise, celle de l'affaiblissement de la propriété intellectuelle. Et, sans surprise, c'est la direction que le groupe a recommandée.

La propriété intellectuelle existe pour fournir une incitation aux inventeurs à innover. C'est tout particulièrement le cas pour les brevets pharmaceutiques. La recherche pharmaceutique est extrêmement coûteuse; le groupe utilise des chiffres allant de 150 millions à 4 milliards par nouveau médicament. Pour que cette recherche soit rentable, et ainsi continue d'attirer de nouveaux investisseurs et de nouveaux bailleurs de fonds, les brevets donnent l'exclusivité sur la production et la vente d'un médicament pendant une certaine période après son invention.

D'ailleurs, les pays offrant la meilleure protection à la propriété intellectuelle, notamment les États-Unis et la France, attirent généralement plus de ces inventeurs de nouveaux médicaments que les autres pays.

On peut déplorer le fait que l'accès aux médicaments soit toujours difficile dans les pays en développement, mais la propriété intellectuelle a une fonction très précise : celle de susciter le développement d'un plus grand nombre de nouveaux médicaments.

Et ces nouveaux médicaments ont aidé beaucoup de patients dans les pays riches, mais aussi dans les pays pauvres, souvent gratuitement grâce à l'aide internationale, comme le rappelait un spécialiste de l'économie de la santé.

Dans les années 1980, par exemple, se faire diagnostiquer le sida était l'équivalent d'être condamné à une peine de mort. Grâce aux traitements antirétroviraux, rappelle l'expert, cette peine de mort s'est transformée en une vie plus longue et presque normale. Si une mesure visant à diminuer la portée de la propriété intellectuelle avait été adoptée à l'époque, ces médicaments n'auraient peut-être jamais été inventés.

Conscient qu'affaiblir la propriété intellectuelle ferait en sorte qu'il y ait moins d'innovation pharmaceutique, le groupe recommande que les gouvernements du monde mettent en place des accords internationaux pour financer eux-mêmes la recherche pharmaceutique, la coordonner et déterminer les priorités. À l'ère des crises de la dette souveraine, l'idée de financer la recherche pharmaceutique intégralement à partir de deniers publics sonne comme une mauvaise blague. De plus, si les recommandations de groupe sont un jour prises au sérieux, des gouvernements qui sont souvent incapables de s'occuper des nids-de-poule vont prendre en charge les décisions complexes liées à la recherche médicale. Les recommandations de ce rapport laissent pour le moins dubitatif.

Enfin, 350 des 375 médicaments déclarés comme essentiels pour les pays en voie de développement par l'Organisation mondiale de la santé ne sont pas protégés par la propriété intellectuelle. De toute façon, cette mesure n'aurait aucun effet sur l'immense majorité des médicaments importants pour ces pays.

Par contre, ce qui aurait de l'effet et pourrait assurer que la condition des malades des pays pauvres s'améliore serait que les gouvernements de ces pays prennent le taureau par les cornes et s'attaquent aux problèmes auxquels ils sont confrontés.

D'abord et avant tout, il est de leur responsabilité d'enrayer l'immense corruption sévissant très largement dans les pays en voie de développement. Ensuite, ils pourraient se concentrer sur leur manque d'hôpitaux, leur manque de personnel médical, mais aussi leur manque d'infrastructures de base qui rendent l'accès à l'eau difficile, leur manque de routes, leur manque d'électricité fiable ainsi que leur manque d'infrastructures sanitaires de base. C'est un chemin plus long, plus ardu, mais qui a le mérite de faire face aux problèmes.

S'attaquer à la propriété intellectuelle est susceptible de générer des gros titres dans les journaux, mais c'est une solution simpliste à un problème sérieux et complexe. Peut-être que lorsque cette solution aura lamentablement échoué on pourra enfin s'intéresser aux problèmes auxquels font vraiment face les malades dans les pays pauvres.

Mathieu Bédard est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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