Anticosti : la valse de l’incertitude nuit à l’activité économique
Nous apprenons aujourd’hui que, sans le sou, Hydrocarbures Anticosti cessera ses activités dès vendredi à moins que le gouvernement du Québec ne prenne de mesures pour respecter sa promesse de financement des projets de forages pétroliers et gaziers à Anticosti. Indépendamment de la désirabilité du projet, force est de reconnaître que le gouvernement a décidé dans ce dossier de danser la valse de l’incertitude – celle qui paralyse l’activité économique.
Rappelons brièvement certains faits. Le projet a été lancé en 2012 sous l’égide du gouvernement libéral. Par la suite, le gouvernement Marois est devenu le principal actionnaire d’Hydrocarbures Anticosti dont l’objectif est, dans un premier temps, d’explorer et ensuite d’exploiter si l’exploration démontre le potentiel économique de l’île. Plus tard, contre toute attente, le premier ministre actuel, s’est exprimé contre le projet, même si un contrat l’attachait légalement à respecter les engagements du gouvernement précédent. Selon les autres actionnaires de la compagnie, le gouvernement essaie d’éviter de respecter ses engagements en retenant les fonds promis.
On ne sait pas encore si l’exploitation d’hydrocarbures sur l’île d’Anticosti est une entreprise rentable. Le but du projet de forage était d’évaluer cette rentabilité. Bien sûr, le gouvernement peut bloquer tout simplement le projet pour des raisons non économiques. Ce n’est pas souhaitable, mais ce n’est pas là le principal problème. Le véritable problème vient du fait que le gouvernement n’arrive pas à se brancher. Un jour, le projet l’intéresse. Le jour suivant, il faut qu’il en devienne actionnaire pour donner son accord et signe un contrat à cet effet. Le surlendemain, il n’est plus intéressé et cherche à se défiler de ses obligations. C’est la valse de l’incertitude aux yeux des investisseurs!
Or, cette incertitude entraîne un coût important. Depuis quelques années, les économistes ont réussi à construire des mesures de l’incertitude découlant des politiques économiques et évaluer les effets de cette incertitude sur l’activité économique. Le constat est clair : plus l’incertitude est élevée, plus l’activité économique est ralentie.
Lorsqu’ils ont de bonnes raisons de craindre des modifications arbitraires de l’environnement légal et réglementaire dans lequel ils évoluent, en raison de la conjoncture, des groupes de pressions ou des préférences changeantes des politiciens, les entrepreneurs réduisent les embauches, modèrent leurs investissements et ralentissent leurs activités.
Par exemple, une étude récente publiée par le National Bureau of Economic Research démontre que l’incertitude provenant des décisions gouvernementales réduit considérablement le volume de prêts que les banques octroient pour des nouveaux projets. D’autres études montrent un effet important sur le chômage. Une étude trouve notamment qu’en l’absence d’incertitude liée aux décisions du gouvernement, le taux de chômage américain aurait été de 1,3 point de pourcentage plus bas au cours de la récente récession. Les coûts de l’incertitude sont donc très importants.
Certaines personnes affirment que le premier ministre Couillard cherche à étouffer le projet d’Anticosti afin de se donner le capital politique pour approuver le projet de pipeline Énergie Est ou de poursuivre le Plan Nord. Que ce soit vrai ou non, une telle rumeur démontre la perversité de la valse de l’incertitude. Un entrepreneur ne devrait pas avoir à deviner les intentions du gouvernement ou s’inquiéter des stratagèmes politiques des joueurs sur l’échiquier politique. La seule préoccupation de l’entrepreneur devrait être la rentabilité de son projet.
Lorsqu’il est question des politiques publiques qui affectent les décisions des acteurs privés, les gouvernements devraient toujours définir des règles claires dès le départ et les respecter pleinement. Même si les règles ne sont pas parfaites, ce sera toujours préférable aux effets négatifs qu’entraîne une valse de l’incertitude comme celle à laquelle nous assistons actuellement.
Jasmin Guénette est vice-président de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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