Arrêtons de politiser les achats d’entreprises!
Les restaurants St-Hubert ainsi que leur ligne de produit vendus en supermarché ont été racheté par Cara Operations, une entreprise ontarienne. Tous ceux qui tendent l’oreille depuis cette annonce peuvent entendre des « malheur! », des « un autre fleuron qui s’en va! », des « ça va donc ben mal au Québec ». Ces réactions sont démesurées et oublient certains faits et certaines vérités à propos de la cession de l’entreprise et à propos des achats d’entreprises québécoises.
Il pourrait être tentant de se lancer dans un débat à propos des mérites ou démérites de la transaction ou de faire une analyse stratégique de la croissance de St-Hubert et de ses perspectives d’avenir. Le fond du problème n’est toutefois pas là.
Oui, c’est vrai, St-Hubert a cherché un repreneur québécois, sans réussir à en trouver, en partie à cause du manque de relève entrepreneuriale au Québec, due à nos impôts élevés et notre réglementation étouffante.
Oui, c’est vrai, au Québec avec le revenu disponible, c’est-à-dire après impôts, le plus bas au Canada, St-Hubert a probablement déjà saturé le marché québécois. Si elle veut faire croître ses restaurants et ses produits d’alimentation, elle devra se tourner vers l’extérieur du Québec.
Mais tout ça passe à côté de l’essentiel.
L’essentiel, c’est qu’il revient à Jean-Pierre Léger, le président et propriétaire de St-Hubert, de juger s’il s’agit d’une bonne offre. Pas à notre classe politique. C’est plus qu’un droit légal, c’est un droit moral. Monsieur Léger est propriétaire de l’entreprise, il est le fils des fondateurs et c’est à lui qu’on doit l’immense succès et croissance de St-Hubert. Sans son travail, cette entreprise ne représenterait rien pour l’identité et la culture québécoises. Personne n’a plus de légitimité pour décider de l’avenir d’une entreprise que son propriétaire, a fortiori lorsqu’il fait partie de la famille directe du fondateur.
Ensuite, rétablissons les faits à propos des entreprises québécoises. On a pu par exemple lire ces derniers jours qu’on était en voie de devenir, ou redevenir, une économie de succursale, de « porteurs de poulet » pour l’Ontario. Encore une fois il y a certains faits qui contredisent ces affirmations, mais le cœur du problème est ailleurs.
Oui, c’est vrai, comme le rappelle Alec Castonguay dans un excellent article, que les entreprises québécoises ont acheté beaucoup plus d’entreprises à l’étranger, qu’il y a de « fleurons » qu’on a perdus. Entre 2001 et 2013, il y a eu presque un tiers plus d’acquisitions à l’extérieur par des entreprises québécoises, que d’entreprises québécoises qui ont été acquises par des entreprises de l’extérieur. Entre 2010 et 2016, c’est trois fois plus. Nos entreprises acquièrent beaucoup plus, et de façon beaucoup plus agressive, que le reste du monde ne le fait avec nos entreprises. Pour tous les St-Hubert et les Rona, il y a plusieurs Saputo et Couche-Tard.
Mais au-delà de ces faits, de façon générale, on accorde beaucoup, beaucoup trop d’importance à la nationalité des actionnaires. Qu’est-ce que ça change pour vous, en tant que consommateur, en tant qu’employé, si le magasin de souliers au coin de la rue appartient à un Ontarien, un Américain ou un Australien? Absolument rien! Les impôts sur les sociétés sont en fonction de là où sont réalisées les ventes et où sont les employés. Mais, surtout, tant que vous êtes satisfait, que l’entreprise est honnête et qu’elle remplit ses responsabilités, vous êtes toujours gagnant dans vos transactions. C’est là toute la beauté de l’économie de marché.
Il faut donc arrêter de politiser des transactions qui sont privées et qui n’ont aucune importance en termes de politiques publiques. D’une part, monsieur Léger est l’une des seules personnes véritablement concernées par cette transaction. D’autre part, le Québec profite très largement de l’ouverture des frontières pour acquérir des entreprises à l’extérieur. Arrêtons de nous apitoyer sur le sort du Québec Inc. et célébrons plutôt le succès des 25 ans de monsieur Léger à la tête de ce « fleuron »!
Mathieu Bédard est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.
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