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L’heure juste à propos du financement des soins de santé au Canada

La responsabilité de financer les soins de santé est-elle de plus en plus confiée à des acteurs privés? Le secteur privé occupe-t-il une plus grande place dans le financement des soins ici qu’en Europe, comme certains le soutiennent? Contrairement à ce qu’affirment certains intervenants, nous n’assistons pas à une privatisation graduelle du financement des soins de santé au Canada. Cette Note économique démontre qu’il s’agit d’un mythe, du moins en ce qui concerne les soins médicalement requis, qui forment le noyau du système de santé.

Communiqué de presse : La privatisation des soins médicalement requis au Canada est un mythe

Annexe technique
 

En lien avec cette publication

Health care lacks patient choice, competition (Sun Media, 16 décembre 2015)    

L’heure juste à propos du financement des soins de santé au Canada

La question du financement des soins de santé ne cesse d’alimenter les débats politiques au Canada. Le mois dernier, la Saskatchewan autorisait les patients à débourser privément pour des tests d’imagerie par résonance magnétique réalisés dans des cliniques privées, jusqu’alors l’apanage du secteur public(1). Le Québec a pour sa part récemment adopté une loi visant à baliser les frais que pourront exiger les médecins pour certains produits et services jugés « accessoires », qu’il s’agisse de l’ouverture d’un dossier médical ou de la distribution de gouttes pour les yeux.

Ces décisions n’ont pas manqué de soulever l’indignation de certains intervenants et groupes populaires(2). Selon ces critiques, il s’agirait de preuves additionnelles montrant qu’on assiste graduellement à une privatisation du financement des soins de santé au Canada(3).

La responsabilité de financer les soins de santé est-elle de plus en plus confiée à des acteurs privés? Le secteur privé occupe-t-il une plus grande place dans le financement des soins ici qu’en Europe, comme certains le soutiennent?

Le financement des services de santé au Canada

À l’instar des autres pays, les services de santé au Canada sont financés à la fois par le secteur public et le secteur privé(4). Les sommes consacrées à la santé ont atteint tout près de 210 milliards de dollars dans l’ensemble du pays en 2013. De ce montant, un peu plus de 70 % a été pris en charge par les gouvernements (presque entièrement au niveau provincial), le reste des dépenses étant assumées directement par les patients ou par leurs assureurs privés(5).

En vertu de la Loi canadienne sur la santé, le régime public d’assurance dans chaque province est tenu de couvrir intégralement l’ensemble des dépenses pour des soins hospitaliers et des soins dispensés par les médecins en cabinet qui sont considérés nécessaires d’un point de vue médical, et ce, sans contribution directe de la part des patients qui pourrait en réduire l’accès(6). Des programmes publics provinciaux financent également des dépenses de soins jugés complémentaires dans le domaine de la santé pour certains groupes de la population, notamment en ce qui concerne les médicaments prescrits, les soins de longue durée et à domicile, et le transport par ambulance.

Quant aux dépenses privées de santé, elles touchent essentiellement des domaines en périphérie des soins médicalement requis. C’est le cas des dépenses de soins fournis par les dentistes (94 % privées), par les optométristes (91 % privées) et les autres professionnels de la santé tels les psychologues, les podiatres, les physiothérapeutes et les chiropraticiens (82 % privées). Les dépenses de médicaments prescrits sont également assumées par les patients ou leurs assureurs privés dans une proportion de 57 % (voir Figure 1). Dans ces domaines, les gouvernements ne financent que les dépenses pour des groupes précis au sein de la population, qu’il s’agisse de jeunes enfants, de personnes âgées ou de prestataires de l’aide sociale.

Un financement de plus en plus privé au Canada?

La part des dépenses privées dans l’ensemble des dépenses de santé a légèrement augmenté depuis l’entrée en vigueur de la Loi canadienne sur la santé en 1984. Alors qu’elle s’établissait à 25 % au milieu des années 1980, cette proportion est passée à 29 % en 2013, selon les données compilées par l’Institut canadien d’information sur la santé.

Ce sont les dépenses privées pour des soins complémentaires au réseau de la santé qui ont le plus augmenté, notamment les soins dentaires (+ 4 points de pourcentage), les soins de la vue (+ 5 points de pourcentage) et les soins des autres professionnels (+ 25 points de pourcentage). La part des dépenses privées effectuées dans les hôpitaux et dans les cabinets de médecins, le noyau du système de santé universel, est quant à elle demeurée inchangée durant cette période. En ce qui a trait aux dépenses hospitalières, la part du secteur privé s’élevait à 9,4 % en 2013, soit exactement la même proportion qu’au milieu des années 1980.

Ce chiffre est cependant trompeur puisqu’il ne concerne pas, en réalité, des soins de santé dispensés à des Canadiens. En effet, il inclut principalement des dépenses effectuées par les patients pour l’obtention de chambres privées ou semi-privées, la location de téléviseurs, les billets de stationnement, ou encore des services médicaux qui ne sont pas jugés nécessaires à la santé, telle la location de béquilles ou de prothèses(7). Les seules dépenses privées pour des soins médicalement requis que cette donnée incorpore ont été effectuées par des patients étrangers(8).

Quant aux montants dépensés privément pour les services des médecins en cabinet, ils ont représenté entre 0,9 % et 1,6 % de l’ensemble des dépenses pour ces services de 1985 à 2013. Lors de cette dernière année, la part des dépenses privées s’élevait à 1,2 %(9).

Encore une fois, un bémol s’impose. En effet, il faut comprendre que certains services offerts par les médecins ne sont pas couverts par les régimes d’assurance publics, simplement parce qu’ils ne constituent pas des services perçus comme nécessaires d’un point de vue médical. Ces services concernent, par exemple, le renouvellement d’une ordonnance par téléphone ou encore la livraison de certificats médicaux(10).

Ainsi, les services médicaux et hospitaliers dispensés aux patients canadiens sont dans les faits financés pratiquement à 100 % par le secteur public(11) et cette situation n’a pas changé depuis trois décennies. ​

Y a-t-il plus de privé en santé au Canada qu’ailleurs?

Il est pertinent de se demander comment le Canada se compare face aux autres pays développés en ce qui a trait à la participation du secteur privé dans le financement des soins de santé. De l’avis de certains analystes, le Canada se rapprocherait beaucoup plus des États-Unis à cet égard que des pays d’Europe(12). Qu’en est-il vraiment?

Lorsqu’on observe l’ensemble des dépenses de santé, on s’aperçoit que la part du secteur privé au Canada est similaire à celle de l’Australie, de l’Espagne et de la Suisse, mais supérieure à celle de l’Allemagne, de la France et des pays scandinaves(13). Elle est très inférieure à celle des États-Unis, qui n’ont d’ailleurs pas de système de santé universel, contrairement au Canada et à la vaste majorité des pays de l’OCDE(14).

Cependant, lorsqu’on décortique le financement des soins de santé par catégories de dépenses, on se rend compte que le Canada fait bande à part, comparativement à l’Europe, en restreignant à ce point le financement privé des soins jugés médicalement requis, à savoir les soins hospitaliers et les soins fournis par les médecins en cabinet.

À titre d’exemples, les soins hospitaliers sont financés par des sources privées à hauteur d’environ 20 % en Suisse et en Belgique, et à près de 30 % en Australie. En ce qui concerne les soins offerts par les médecins en cabinet, la part du privé dans le financement surpasse celle du Canada dans tous les pays, représentant même plus de 20 % dans la majorité des pays dont la Suède (22 %), la France (27 %) et la Finlande (56 %). Une analyse des dépenses de santé dans 15 pays de l’OCDE nous permet de constater qu’en moyenne, 18 % du financement des soins offerts dans les hôpitaux et les cabinets de médecins dans ces pays provient de sources privées (voir Figure 2).

Il ne s’agit pas là, contrairement à certaines croyances, de systèmes de santé « à deux vitesses », mais bien de systèmes de santé mixtes où aucun citoyen n’est exclu de la couverture d’assurance universelle. D’ailleurs, les autres pays de l’OCDE offrent en général une assurance publique couvrant un éventail de services de santé beaucoup plus large qu’au Canada(15).

Les données sur le financement privé des soins ne disent pas tout à propos des différences entre le système canadien et les systèmes ailleurs dans le monde. La participation plus grande du secteur privé en santé dans les autres pays se manifeste également au chapitre de la prestation des soins. En effet, dans la plupart des autres pays, les patients peuvent choisir d’être traités dans des hôpitaux publics ou des hôpitaux privés(16). Ce n’est toutefois pas le cas au Canada, où 99 % des hôpitaux sont publics(17).

En fait, tous les autres pays de l’OCDE fournissent plus de services hospitaliers par l’entremise du secteur privé que le Canada, même ceux où le financement privé reste très minoritaire. Ainsi, bien que le financement privé des soins hospitaliers reste modeste en France et en Finlande (entre 7 % et 9 % selon les données de l’OCDE), tous les patients français et finlandais ont la possibilité d’être traités dans des établissements privés, à but lucratif ou non, même si les frais sont couverts par leur assurance publique(18). C’est d’ailleurs ce qui explique que 55 % des chirurgies en France sont réalisées dans des cliniques privées à but lucratif, lesquelles représentent près de 40 % des établissements de santé avec capacité d’hospitalisation(19).

Conclusion

Depuis quelques années, plusieurs commentateurs insistent sur le fait que la part du financement privé dans les dépenses de santé augmente au Canada et est plus élevée qu’ailleurs. Ils laissent entendre que cette tendance menacerait l’universalité des soins.

Il est vrai que la part du financement privé a augmenté au cours des trois dernières décennies pour ce qui est des soins périphériques, des domaines par ailleurs caractérisés par l’innovation et la qualité des services, où il n’y a pas de listes d’attente(20). Une analyse plus approfondie des données montrent cependant que ce n’est pas du tout le cas en ce qui concerne les soins qui forment le noyau du système de santé, à savoir ceux qui sont dispensés dans les hôpitaux et les cabinets de médecins. Ceux-ci demeurent sous l’emprise hermétique du monopole public au Canada.

Aucun pays de l’OCDE, notamment en Europe, ne restreint autant la participation du secteur privé dans la fourniture et le financement des soins de santé médicalement requis. Tout en adhérant pleinement au principe d’universalité, ces systèmes mixtes parviennent généralement à obtenir de bien meilleurs résultats que le Canada au chapitre de l’accès à ces soins pour les patients.

En entretenant la confusion sur la répartition public-privé du financement des soins de santé, les partisans du statu quo occultent une réalité fondamentale à l’origine du problème structurel des listes d’attente, soit l’absence de concurrence et de choix pour les patients dans notre système public de santé. Il est crucial d’avoir l’heure juste à cet égard si l’on veut établir le bon diagnostic et apporter les remèdes appropriés.

Cette Note économique a été préparée par Yanick Labrie, économiste à l’Institut économique de Montréal et titulaire d’une maîtrise en sciences économiques de l’Université de Montréal. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’initiative privée permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Références

1. Emma Granney, « Bill to partially privatise MRIs in Saskatchewan passed by government », Regina Leader-Post, 3 novembre 2015.
2. Élisabeth Fleury, « Pétition contre les frais accessoires à l’Assemblée nationale », Le Soleil, 27 novembre 2015; Roxane Léouzon, « 527 témoignages contre les frais accessoires », Métro, 15 novembre 2015; Brent Patterson, « Saskatchewan passes Bill 179, the MRI Facilities Licensing Act », Le Conseil des Canadiens, 10 novembre 2015.
3. Astrid Brousselle et al., « Why Trudeau must save Medicare in Quebec », Toronto Star, 5 novembre 2015; Thierry Haroun, « La privatisation du secteur de la santé est en marche », Le Devoir, 28 novembre 2015.
4. Évidemment, toutes les dépenses de santé sont ultimement financées par les particuliers, que ce soit en tant que contribuable, à titre d’assuré ou encore de consommateur. Ainsi, lorsqu’il est question de financement des services de santé par le « secteur » public ou privé, on fait référence à l’instance qui est chargée du paiement des dépenses.
5. Institut canadien d’information sur la santé, Tableaux de données, A.3.1.1 : Dépenses totales de santé par affectation de fonds et A.2.2 : Dépenses totales de santé par source de financement, octobre 2015.
6. Le concept de soins « médicalement requis » n’a jamais été défini de façon claire par la législation fédérale ou provinciale, mais a été interprété historiquement par les gouvernements des provinces comme étant les soins dispensés dans les hôpitaux et les cabinets de médecins. Voir J.C. Herbert Emery et Ronald Kneebone, The Challenge of Defining Medicare Coverage in Canada, The School of Public Policy, University of Calgary, SPP Research Papers, vol. 6, no 32, octobre 2013.
7. Institut canadien d’information sur la santé, Le ratio 70/30 : Le mode de financement du système de santé canadien, septembre 2005, p. 49. Voir aussi Loi canadienne sur la santé, Foire aux questions, Quels services de santé ne sont pas assurés par les provinces et les territoires?
8. Voir notamment le cas hautement médiatisé d’une patiente étrangère qui avait déboursé un montant élevé afin de subir son intervention plus rapidement au Québec en 2013. Vincent Larouche, « Une Koweïtienne opérée au CUSM : des soins VIP pour 200 000 $ », La Presse, 1er février 2013.
9. Op. cit., note 5.
10. Institut canadien d’information sur la santé, op. cit., note 7, p. 53.
11. Livio Di Matteo, « Policy Choice or Economic Fundamentals: What Drives the Public-Private Health Expenditure Balance in Canada? », Health Economics, Policy and Law, vol. 4, 2009, p. 32; André Picard, « Honest talk about private health services is long overdue », The Globe and Mail, 10 novembre 2015.
12. Colleen M. Flood, « Privatization is not the answer to Canada’s health care woes », The Moncton Times & Transcript, 29 juillet 2014.
13. OCDE, Statistiques de l’OCDE sur la santé, Indicateurs des dépenses de santé.
14. OCDE, Panorama de la santé 2015 : Les indicateurs de l’OCDE, 4 novembre 2015, p. 127.
15. Åke Blomqvist et Colin Busby, « Rethinking Canada’s Unbalanced Mix of Public and Private Healthcare: Insights from Abroad », Commentary no. 420, Institut C.D. Howe, février 2015, p. 21. Voir l’Annexe technique sur le site de l’IEDM pour les données complètes à cet égard pour 15 pays de l’OCDE.
16. Pedro Pita Barros et Luigi Siciliani, « Chapter Fifteen – Public and Private Sector Interface », dans Mark V. Pauly et al. (dir.), Handbook of Health Economics, vol. 2, 2011, p. 989.
17. OCDE, Statistiques de l’OCDE sur la santé, Ressources en santé : hôpitaux, 2012.
18. Grégoire de Lagasnerie et al., Paiement des hôpitaux et dégressivité tarifaire dans les pays de l’OCDE, mars 2015, p. 35.
19. Bénédicte Boisguérin et Gwennaëlle Brilhault (coord.), Le panorama des établissements de santé : édition 2014, Gouvernement de France, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, mars 2015, p. 83 et 111.
20. Voir Yanick Labrie, L’autre système de santé – Quatre domaines où le secteur privé répond aux besoins des patients, Cahier de recherche, Institut économique de Montréal, mars 2015.

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