Un prix unique du livre serait archaïque et néfaste
Le gouvernement du Québec songe à interdire aux détaillants de vendre leurs nouveaux livres en deçà du prix unique fixé. Cette politique vise à limiter la concurrence faite aux petites librairies par les Archambault et Wal-Mart de ce monde.
En quoi vendre un livre plus cher pour protéger des commerçants contribue-t-il à l'épanouissement de la culture québécoise?
Aurait-il fallu sauver les moines copistes du péril de l'impression, même si cette dernière s'avéra bénéfique pour les lecteurs? Pendant très longtemps, et malgré l'innovation de Gutenberg, le livre demeure un bien rare et dispendieux, hors de portée de la plupart des bourses. Ce n'est qu'au XIXe siècle que les livres deviennent accessibles à un plus grand nombre de citoyens, grâce notamment à la venue de l'imprimerie industrielle qui en diminue les coûts de production.
Toujours au XIXes iècle, des innovations dans la distribution permettent l'émergence d'entreprises qui expédient des livres par la poste. Immanquablement, cette nouveauté amène une diminution des prix et cette concurrence accrue permet une plus large diffusion des livres et un plus grand rayonnement culturel.
Avec la prolifération des grandes librairies telles qu'Indigo, Chapters et Renaud-Bray, l'offre grandissante des détaillants comme Costco ainsi que l'arrivée de grossistes en ligne, cette tendance vers une concurrence accrue est encore plus marquée qu'auparavant. Grâce à d'importantes innovations dans le domaine de la logistique et de la vente au détail, les libraires sont aujourd'hui capables de tenir des inventaires bien plus variés qu'auparavant.
Et la concurrence ne vient pas seulement des grands libraires, elle provient aussi de nouvelles plateformes de lecture. On peut commander des titres rares, ésotériques ou populaires via l'internet, télécharger des livres numériques et même des livres audio sur des sites tel que audible.com et iTunes. Au lieu de se déplacer de boutique en boutique pour évaluer les prix, les lecteurs ont maintenant accès à des sites web qui comparent les prix de livres vendus par plus d'une vingtaine de détaillants en ligne. Le tout en seulement quelques secondes.
Ajoutons à tout cela les innovations du côté de l'impression et de l'édition – allant du « self-publishing » à l'impression unitaire – qui permettent encore de réduire les coûts et les prix. Ainsi, le nombre de nouveautés explose et des titres qui auraient été auparavant vendus à des prix prohibitifs sont maintenant accessibles à des prix acceptables. Encore une fois, la concurrence et l'innovation qui en résulte permettent la diminution des prix des livres et l'augmentation des titres publiés.
Adopter une politique de prix unique du livre pour protéger les petites librairies irait à contresens de l'histoire. D'une part, hausser les prix se ferait au détriment des lecteurs. D'autre part, cette politique limiterait l'innovation à moyen et long terme, du moins au Québec, car l'industrie du livre continuerait d'évoluer ailleurs dans le monde.
Pour toutes ces raisons, il y a fort à parier qu'à l'ère du livre numérique, cette politique n'atteindrait même pas son objectif, questionnable, de protéger les petits libraires. Et l'on doit bien se garder de confondre l'intérêt de ces détaillants avec l'intérêt de la culture québécoise qui s'incarne d'abord et avant tout par les lecteurs québécois. Or, à coup sûr, le prix unique du livre sera désavantageux pour ces lecteurs.
Vincent Geloso est économiste à l'Institut économique de Montréal. Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Ils signent ce texte à titre personnel.