Méfiez-vous des apparences
Il fut un temps où les comportements racistes et discriminatoires étaient socialement admis. Fort heureusement, des gestes et des déclarations, jadis acceptables, ne sont plus tolérés aujourd’hui. Néanmoins, nous avons beaucoup à apprendre de l’Histoire.
Au début du 20e siècle, le Brotherhood of Locomotive Engineers et le Brotherhood of Locomotive Firemen, deux syndicats américains qui représentaient les travailleurs de race blanche des chemins de fer, exprimaient ouvertement leur volonté de maintenir une ségrégation raciale en empêchant les Noirs d’occuper certains emplois.
À la même époque, en Afrique du Sud, les syndicats des travailleurs des mines affirmaient sans réserve leur détermination à empêcher les Noirs d’accéder aux emplois convoités par les Blancs.
Pourquoi relater ces deux faits historiques? Tout simplement parce qu’un des outils employés par ces groupes racistes est non seulement encore présent dans les économies modernes, mais encensé par la classe politique et par de nombreux groupes de pression. C’est outil, c’est le salaire minimum!
En effet, comme l’expliquent les économistes américains Walter Williams et Carter A. Wilson, les syndicats de l’époque n’appréciaient pas la concurrence exercée par les Noirs, qui acceptaient de travailler pour un salaire nettement inférieur à celui des Blancs. Pour évincer du marché du travail cette main-d’oeuvre bon marché, ils ont demandé, entre autres, l’instauration d’un salaire minimum afin que les travailleurs noirs perçoivent la même rémunération que les Blancs. N’y voyez surtout pas de la compassion. En réalité, ils savaient qu’en obligeant les employeurs à verser aux travailleurs noirs un salaire supérieur à leur productivité, ces derniers ne seraient plus « employables ».
Attention! Je ne dis pas que les groupes qui défendent aujourd’hui le salaire minimum sont racistes. Au contraire! Je ne doute ni de leurs bonnes intentions ni de leur conviction profonde qu’il s’agit là d’une mesure qui exprime la solidarité.
Les moins doués
Or, la sincérité et la bonne foi ne changent rien à la réalité. Le salaire minimum, qui est un moyen et non une fin, était jadis et est toujours une mesure discriminatoire. À l’occasion de la fête des Travailleurs, l’État québécois a augmenté le salaire minimum à 9,90 $. Il donne ainsi l’impression d’aider les travailleurs du bas de l’échelle. Dans les faits, à chaque hausse du salaire minimum, certains travailleurs peu efficaces ne peuvent plus justifier leur salaire et se voient refuser l’accès au marché du travail. Le salaire minimum est donc une mesure qui oblige l’employeur à exercer une discrimination envers les travailleurs les moins doués et à faire disparaître les emplois les moins qualifiés.
Bonne conscience
Ce n’est d’ailleurs pas sans raison que les jeunes de 15 à 24 ans, un groupe de travailleurs encore peu formé et peu expérimenté, ont un taux de chômage 70 % plus élevé que celui de l’ensemble de la population. Ce n’est pas non plus un hasard si certains emplois, comme celui de pompiste, ont presque disparu.
La hausse du salaire minimum permet à la classe politique de bien paraître et de se donner bonne conscience. Toutefois, cette mesure a un coût et ce sont les travailleurs les moins qualifiés qui l’assument.
Depuis quand exclure les plus faibles est-il un gage de solidarité?
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal. Elle signe ce texte à titre personnel.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.