Parfum de crise
J’ai toujours été très critique par rapport à l’augmentation de la quantité de monnaie mise en circulation par la Réserve fédérale américaine (Fed). Comme prévu, cette politique provoque maintenant de l’inflation, un phénomène qui devrait d’ailleurs s’accentuer dans un avenir proche. Même Ben Bernanke, qui a toujours nié les conséquences inflationnistes de ses politiques, a récemment admis qu’il s’attend à une accélération « transitoire » de l’inflation.
Malgré tout, les autorités tentent de se faire rassurantes en invoquant la remontée du Dow Jones depuis mars 2009. Il faut toutefois éviter de se laisser berner par le célèbre indice boursier. Rappelons qu’en avril 2007, alors que le Zimbabwe vivait l’un des plus spectaculaires dérapages économiques de l’histoire de l’humanité, la Bourse de ce pays a été classée la plus performante au monde!
Contrairement à l’envolée du Dow Jones qui doit être interprétée avec prudence, de nombreux autres signes laissent clairement présager des jours bien sombres pour l’Amérique et, par ricochet, pour le reste de la planète. Entre autres :
1) En mars, les dépenses du gouvernement américain ont été huit fois plus importantes que ses revenus. Sa dette de 14 300 milliards $ représente 97 % du PIB. En tenant compte de tous les engagements de Washington au titre de la sécurité sociale, du régime de médicaments et de l’assurance maladie, la dette totale atteint 127 000 milliards $, soit environ 870 % du PIB!
2) La Chine, principal bailleur de fonds des États-Unis, est de plus en plus réticente à acheter des bons du Trésor américain. Elle tente même de se départir des titres déjà en sa possession.
3) Le Japon, le deuxième plus important créancier des États-Unis, devra dépenser 300 milliards $ pour se reconstruire à la suite des récentes catastrophes qu’il a subies. On peut donc s’attendre à ce que le Japon n’ait plus les moyens de prêter à l’Amérique.
4) Le secteur privé américain, quant à lui, n’achète plus les bons du Trésor émis par l’État américain et tente de liquider les titres acquis par le passé. Même Pimco, une société de gestion californienne détentrice du plus important fonds obligataire au monde, a récemment annoncé qu’elle avait vendu la totalité des obligations d’État américaines qu’elle détenait.
En somme, l’Oncle Sam est dans un gouffre financier tel que plus personne n’est disposé à lui prêter de l’argent. Il fait donc appel à la seule institution américaine capable de créer de l’argent : la Fed. La technique est simple : la Fed achète les titres de l’État américain avec de l’argent qui n’existe pas, mais qu’elle fait apparaître grâce à une simple écriture comptable dans son bilan. C’est la version moderne de l’impression de monnaie. Ces derniers mois, la Fed a ainsi augmenté sa limite d’achat de bons du Trésor américain disponibles de 35 à 70 %.
Quelle leçon tirer?
Or, s’il y a une leçon à tirer de l’expérience des pays qui ont eu l’idée « lumineuse » d’imprimer de la monnaie, c’est que cette méthode génère toujours de l’inflation, voire de l’hyperinflation. De l’Allemagne des années 1920 au Zimbabwe contemporain, l’impression de monnaie a systématiquement détruit des économies, appauvri des populations et provoqué des tensions sociales sans précédent. Le scénario est bien connu et les États-Unis n’y échapperont pas. Plus que jamais, les astres sont alignés pour que ce qui était jadis la première puissance économique mondiale devienne une république de bananes, et pour que ce qui était la monnaie de référence devienne de l’argent de Monopoly.
Pendant ce temps, certains s’émerveillent devant les rendements du Dow Jones. C’est comme s’extasier devant les coquillages sur la plage alors que le tsunami approche.
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.