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Textes d'opinion

Le calme avant la tempête

Selon les récentes statistiques sur l’économie américaine, la production a affiché une hausse impressionnante de 3,5% sur une base annuelle au troisième trimestre, ce qui a conduit plusieurs à proclamer que «la récession est terminée!»

À l’annonce d’une pareille nouvelle, on se serait attendu à une explosion de joie panaméricaine. Or, elle a été accueillie dans l’indifférence générale. Manifestement, les Américains ne prennent au sérieux ni les statistiques officielles ni les déclarations des experts. Peut-on le leur reprocher?

Un coup d’œil sur l’histoire économique suffit pour inciter à la prudence. En effet, depuis une cinquantaine d’années, toutes les récessions américaines ont enregistré au moins un trimestre de croissance avant de replonger. Ce soubresaut de l’économie n’a donc rien d’exceptionnel. Nous pouvons également tirer des leçons de la Grande Dépression qui a duré de 1929 à 1939, bien que l’économie américaine ait affiché un taux de croissance annuel moyen extraordinaire de 8,5% de 1934 à 1937. D’ailleurs, comment aurait-il été possible de déclarer la fin de la Dépression dès les premiers signes de croissance de la production alors que le taux de chômage atteignait encore 19% en 1938?

La situation actuelle est-elle différente? Se pourrait-il que la crise appartienne maintenant au passé? Pas du tout! Comme ce fut le cas en 1934, on ne peut se fier aux chiffres actuels pour plusieurs raisons. :

1. Le programme de «prime à la casse», le crédit d’impôt accordé aux premiers acheteurs d’actifs immobiliers et la constitution de stocks expliquent la quasi-totalité de l’augmentation de 3,5% de la production. Or, comme la crise est de nature structurelle, ces programmes incitatifs temporaires n’auront aucun effet à long terme. Au contraire! Cela revient à donner une boisson énergétique au coureur fatigué : il parcourra encore quelques mètres, mais finira par tomber d’épuisement. Et puis, n’oublions pas que la crise a été causée par l’achat de maisons et de voitures que les Américains ne pouvaient pas se permettre. Comment peut-on donc espérer résoudre un problème d’endettement en augmentant l’endettement?

2. La croissance de 3,5% correspond à une hausse du PIB de 112 milliards $ et à la création de 640 329 emplois. Or, pour obtenir ce résultat, Washington s’est endetté de 173 milliards $ qu’il lui faudra rembourser avec intérêts. Ainsi, non seulement chaque emploi créé aura-t-il coûté 270 000$, mais l’économie ne génère que 65 cents pour chaque dollar dépensé. C’est un résultat plutôt lamentable pour une initiative censée «sauver» l’économie.

3. Le taux de chômage demeure élevé. Plus de 10 millions de personnes encaissent des prestations d’assurance-chômage, ce qui constitue un fardeau important pour l’ensemble du pays.

Dans ce contexte, il est prématuré de déclarer la fin de la récession. Peut-être même que le pire reste à venir. Certes, les cours boursiers produisent de bons rendements depuis quelques mois. Certains y voient même la promesse de jours meilleurs. Et si, au contraire, ils étaient annonciateurs d’une autre tempête? Récapitulons. Les taux d’intérêt sont presque nuls, la Réserve fédérale a injecté un billion de dollars dans le système financier, et le dollar américain ne cesse de s’affaiblir. Or, cette combinaison procurera d’importants gains en capitaux à quiconque emprunte des dollars US pour financer ses placements boursiers.

L’envolée boursière n’est donc pas surprenante. Peut-être même assistons-nous au gonflement d’une monstrueuse bulle. C’est ce que pense Nouriel Roubini, l’un des économistes les plus écoutés aux États-Unis. Et comme toute bulle, celle-ci finira par éclater pour ne laisser dans son sillage que ruine et désolation.

Suis-je pessimiste, alarmiste, ou simplement réaliste? L’avenir nous le dira!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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