De la bouche du gourou
Cela fait déjà quelques semaines que j’ai envie de vous parler de l’Australie, mais ce n’est ni pour ses marsupiaux ni pour son célèbre Opéra. C’est plutôt parce que nous aurions intérêt à tirer quelques enseignements économiques de son histoire.
À l’instar de nombreux pays, l’Australie n’a pas échappé à la Grande Dépression. Mais le défi que cette île du bout du monde devait relever était d’autant plus considérable qu’elle était relativement désavantagée: elle était peu peuplée; son économie, relativement petite, reposait sur l’agriculture et les exportations minières; sa base industrielle était limitée; les investissements manquaient et, pour couronner le tout, les grèves étaient très fréquentes.
Mais, contre vents et marées, l’Australie réussit à se sortir de la Dépression plus rapidement que les États-Unis. Ainsi, en 1932, les taux de chômage aux États-unis et en Australie étaient respectivement de 23,6% et de 23%. En 1938, il atteignait encore 19% chez l’Oncle Sam, mais avait diminué à 8,9% au pays des kangourous.
L’Australie avait-elle accompli cet exploit grâce à un plan de relance encore plus ambitieux que le New Deal? Avait-elle généreusement aidé les entreprises en difficulté? Sa Banque Centrale avait-elle injecté d’importantes quantités de monnaie? Non! Rien de tout cela. Exception faite de dépenses minimes en infrastructures, l’Australie n’avait aucun plan de relance d’inspiration keynésienne, aucun plan de sauvetage, aucun budget de crise.
En revanche, le gouvernement de Canberra adopta le «Premiers’ Plan» dès 1931, par lequel il s’engageait à réduire les dépenses gouvernementales de 20%, y compris les dépenses militaires, à maintenir l’équilibre budgétaire, et à réduire aussi bien les salaires des travailleurs du secteur public que ceux du secteur privé.
Ces mesures, aux antipodes de l’interventionnisme que J. M. Keynes prônait alors, n’étaient pas le produit des délirantes élucubrations du premier ministre australien, James Scullin. Elles n’étaient que la concrétisation des bonnes vieilles théories économiques classiques selon lesquelles, comme l’exige le gros bon sens, un pays doit réduire sa consommation, épargner, investir et être plus productif s’il veut prospérer.
Presque huit décennies plus tard, l’héritage de Keynes domine encore l’économie politique. Faisant fi des enseignements de l’histoire, politiciens et commentateurs restent convaincus de la nécessité de dépenser massivement et de générer un déficit pour stimuler l’économie.
Exception faite du Nouveau-Brunswick qui a récemment annoncé d’importantes compressions de la fonction publique et un allégement du fardeau fiscal des contribuables et des entreprises, le reste du monde semble vouloir imiter, à divers degrés, les initiatives keynésiennes de Washington.
Au Québec, la ministre des Finances, madame Monique Jérôme-Forget, a fait également référence à J.M. Keynes pour justifier son dernier budget. Manifestement, le célèbre économiste britannique est devenu le gourou de la plupart des décideurs publics dont le comportement moutonnier n’a d’égal que leur manque de culture économique.
Pourtant, s’ils se donnaient la peine de se renseigner convenablement, ils apprendraient que les déficits, même s’ils sont suivis d’un retour à l’équilibre budgétaire, ne sont pas une panacée. Bien au contraire! Ils réaliseraient également que la pensée keynésienne qu’ils vénèrent tant a été totalement discréditée entre autres par Friedrich Hayek, récipiendaire du prix Nobel d’économie de 1974.
Mais surtout, ils découvriraient que, dans un article posthume, publié en 1946 dans le Economic Journal, Keynes lui-même admet avoir eu tort de dédaigner la pensée de l’école classique qu’il juge finalement empreinte d’une grande vérité. Ces politiciens qui veulent paraitre instruits en invoquant la pensée de Keynes auraient vraiment intérêt à lire ses écrits plutôt qu’à répéter ce que certains leur soufflent!
Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.