Les taxis roulent au rythme bureaucratique
Les industries du transport aérien et du taxi ont réagi bien différemment ces dernières semaines au choc pétrolier qui fait bondir le prix de leur carburant respectif, le kérosène et l’essence. Et pour cause: chacune évolue dans son propre environnement réglementaire.
Air Canada, par exemple, a commencé par facturer à ses passagers différents frais de carburant. Et la direction a récemment vient d’annoncer une réduction de 7% de son offre de sièges, surtout sur les liaisons moins rentables, ainsi que 2000 mises à pied concomitantes. L’entreprise a réagi de façon drastique pour préserver sa rentabilité alors que le carburant représente son principal poste de dépense.
Le taxi est aussi une industrie fortement touchée par le choc pétrolier, mais ici les choses se passent autrement. La semaine dernière, des chauffeurs ont manifesté leur désarroi devant l’Assemblée nationale. On les comprend: ils doivent absorber la hausse du prix de l’essence à même leurs recettes brutes, car ils ne peuvent augmenter leurs tarifs, ceux-ci étant fixés par règlement. Leur seule issue est donc de réclamer au gouvernement une telle augmentation.
Réagissant à leurs doléances, le chef de l’opposition officielle, Mario Dumont, a proposé une hausse immédiate des tarifs ainsi que des crédits d’impôt pour l’achat de véhicules hybrides. La ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, s’est montrée réticente à accorder une aide ponctuelle à cette industrie, la Commission des transports ayant accepté de tenir une audience sur la révision des tarifs au mois d’août. Que voulez-vous, c’est le rythme de la machine bureaucratique. D’ici là, les chauffeurs n’ont qu’à vivre d’espoir et d’eau fraîche!
Bien qu’on puisse compatir aux déboires des chauffeurs, il faut dire qu’ils goûtent maintenant aux fruits amers de la réglementation dont ils profitent en temps normal. Comme ailleurs dans le monde, les propriétaires et chauffeurs de taxi ont obtenu des autorités publiques des mesures protectionnistes avantageant les acteurs en place. Ainsi, l’État restreint la concurrence en fixant les tarifs exigibles et en limitant l’arrivée de nouveau taxi.
L’industrie du taxi appuie la réglementation quand celle-ci empêche des entreprises plus efficaces de diminuer les prix. Mais elle rouspète quand cela empêche l’augmentation des prix pour couvrir les coûts.
Voilà un scénario classique qui survient lorsqu’on tripatouille dans l’offre et la demande d’un bien ou d’un service: les effets pervers de l’intervention originelle doivent être corrigés par de nouvelles interventions, qui engendrent elles-mêmes leur lot de problèmes. Dans ce cas-ci, en adoptant un système de permis à nombre restreint, dont le prix avoisine les 230 000 $, on a artificiellement haussé le coût d’exploitation d’un taxi. Ce qui amène les instances publiques à fixer des tarifs assez élevés afin que les propriétaires rentabilisent leur investissement. Cependant, des tarifs trop élevés font fuir la clientèle et les chauffeurs doivent rester sur la route de longues heures pour en trouver suffisamment.
Mais vous, chers lecteurs, quelle que soit votre industrie, que préfériez-vous si vous étiez confrontés à un bond du coût d’un intrant majeur: décider d’augmenter vos prix, avec les risques que cela comporte, ou subir le sentiment d’impuissance dans lequel vous placerait l’attente d’une décision administrative?
Paul Daniel Muller est président de l’Institut économique de Montréal.