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Textes d'opinion

Sensationnalisme et tromperie

Le 1er mai dernier, Statistique Canada rendait publique une analyse des données du Recensement de 2006 sur les gains et les revenus des Canadiens.

Selon les auteurs, les gains des travailleurs canadiens ont augmenté de 53 $ entre 1980 et 2005! Pire encore, ceux du quintile supérieur ont progressé de 16,4%, alors que ceux du dernier quintile ont chuté de 20,6%.

Pour nombre de commentateurs, ces données sont la preuve que «les riches s’enrichissent tandis que les pauvres s’appauvrissent». Clairement, ils ont répété les grandes lignes du communiqué de presse et y sont allés de déclarations sensationnalistes sur l’état de la société canadienne, sans faire preuve d’esprit critique et sans relever les lacunes pourtant évidentes que présente l’étude.

Premièrement, elle sous-estime le bien-être économique car elle porte uniquement sur les revenus d’emploi des individus, alors que 87% d’entre eux vivent au sein d’une famille. Or, le revenu médian des familles a augmenté de 11,1% depuis 25 ans. Quant aux couples avec enfants, leur revenu a augmenté de 21% au cours de la même période. Voilà qui est plus réjouissant!

Les auteurs de l’étude ne distinguent pas les familles riches des familles pauvres. Pourtant, StatCan possède les chiffres pertinents et un collègue du National Post les a obtenus. Et contrairement aux clichés que l’on véhicule sur toutes les tribunes depuis une semaine, il appert que les pauvres s’enrichissent. En effet, les gains des familles les plus pauvres ont augmenté de 15 % depuis 25 ans, tandis que ceux des familles les plus riches se sont accrus de 23 %. Il est vrai que les familles les plus démunies s’enrichissent moins vite, et on peut certainement souhaiter accélérer la cadence, mais il faut éviter de véhiculer des informations erronées et reconnaître qu’elles ne s’appauvrissent pas.

Muette

Ensuite, une des faiblesses de cette étude tient au fait qu’elle ne présente que les revenus d’emploi et qu’elle reste muette sur les autres sources de revenus. Cet oubli est d’autant plus grave que 52% des revenus des familles les plus pauvres proviennent des transferts gouvernementaux au titre des programmes sociaux (allocations pour enfants, etc.). Que les auteurs jugent inutile de dresser un tableau des revenus totaux des familles est déjà incompréhensible, mais que de soi-disant «experts» en économie ne relèvent pas la faille est impardonnable.

Finalement, on omet de la réflexion les impôts payés par les travailleurs. Pourtant, il est inconcevable de tirer des conclusions sur les écarts entre les riches et les pauvres sans mentionner que les travailleurs appartenant à la tranche des 20% les mieux rémunérés paient 66% des impôts, et sans tenir compte de la redistribution réalisée par le régime fiscal. Cette redistribution est pourtant digne de mention, car si les ménages les plus riches sont treize fois plus riches que les ménages les plus pauvres avant impôts, ils ne le sont que sept fois plus après impôts.

Nous voudrions tous une société prospère où la pauvreté ne serait qu’un mauvais souvenir. Mais pour poser les gestes appropriés, il faut une information fidèle à la réalité. Il est difficile d’expliquer pourquoi StatCan publie des informations tendancieuses. Quel est donc l’objectif de ses auteurs? Déclencher une guerre des classes? Justifier la création de nouveaux programmes gouvernementaux? Faire avancer une idéologie particulière?

Chose certaine, manipuler l’opinion publique avec des demi-vérités ne permet ni d’améliorer le climat social, ni de faire progresser la société!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est chercheuse associée à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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