Les vrais coupables
La semaine dernière, le ministre des Ressources naturelles, Claude Béchard, déposait sa loi sur la «transparence dans la vente de l’essence» en vue d’obliger les pétrolières à justifier chaque hausse du prix à la pompe.
Le ministre Béchard juge important que les automobilistes comprennent pourquoi le prix de l’essence augmente. Soit! Mais comme les taxes qu’il perçoit augmentent chaque fois que les pétrolières haussent le prix de l’or noir, ne devrait-il pas prêcher par l’exemple et également expliquer pourquoi il en exige toujours davantage du contribuable? Le fait que le projet de loi prévoit que le détaillant doit afficher le montant des taxes est insuffisant. Par souci de cohérence, et pour respecter le principe de transparence dont il fait la promotion, des fonctionnaires devraient indiquer à quelles fins ces nouvelles recettes fiscales seront allouées! Après tout, si les pétrolières doivent justifier leurs hausses de prix, l’État ne devrait-il pas également expliquer pourquoi il empoche davantage de taxes?
Évidemment, le ministre Béchard se défend en affirmant que son initiative permettra de déterminer quelles sont les pétrolières à l’origine des hausses de prix. Malheureusement, il ne s’attaque pas au véritable coupable. Il oublie que 90% des réserves mondiales de pétrole sont gérées par des gouvernements ou des sociétés d’État. Il oublie également que 77% des réserves connues de pétrole sont la propriété des pays membres de l’OPEP, un cartel international formé de 13 pays parmi lesquels le Venezuela, l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Irak, le Koweït, les Émirats arabes unis, l’Angola, l’Algérie, le Nigeria, et le Qatar. À titre de comparaison, la plus importante pétrolière, ExxonMobil, ne possède que 1,08% des réserves mondiales. Quant aux cinq plus grandes pétrolières, c’est à peine si elles en possèdent 4%.
En s’attaquant aux pétrolières, le ministre Béchard tente de passer pour un héros qui veut sauver les automobilistes des griffes de multinationales voraces. Or, il oublie que le cartel de l’OPEP, qui possède infiniment plus de pouvoir que les pétrolières privées, restreint artificiellement la production des pays membres dans l’unique objectif d’augmenter le prix du brut. Il néglige également le fait que plusieurs membres de l’OPEP ainsi que des pays qui ont confié leur production de pétrole à des sociétés d’État ont peu investi depuis des décennies dans l’exploration et la mise sur pied de nouvelles unités de production. Même le Venezuela, qui dispose des réserves parmi les plus importantes au monde, voit sa production dégringoler depuis que Chavez poursuit la nationalisation du pétrole.
Bien entendu, si les pétrolières complotent, elles devraient être punies. Mais le véritable problème n’est pas tant le comportement des pétrolières, car leur pouvoir est limité. D’ailleurs, comment pourrait-on leur attribuer le fait que le prix à la pompe a pratiquement doublé en 10 ans?
Le problème tient plutôt au fait que l’essentiel de l’or noir est entre les mains de gouvernements rapaces qui limitent délibérément leur production malgré la hausse de la demande mondiale. Et ça, le projet de loi du ministre Béchard n’y changera rien.
Maintenant, la bonne nouvelle. Le cartel de l’OPEP est si aveuglé par les profits actuels qu’il oublie que les prix élevés rendent rentables les schistes bitumineux du Colorado et les sables asphaltiques du Canada. Et comme ces réserves sont plus importantes que celles de pétrole brut, l’OPEP et ses acolytes ne pourront bientôt plus tenir le monde en otage. Le compte à rebours est commencé!
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.