Cessons d’encourager les retraites hâtives
Au Québec, en 1966, au moment où les régimes de retraite publics ont été instaurés, la population de 65 ans et plus représentait 6 % de la population totale et un homme de 65 ans pouvait espérer vivre encore 13,6 ans.
Aujourd’hui, la part de la population de 65 ans et plus dans la population totale est de 14% et l’espérance de vie d’un homme de 65 ans est de 17,3 ans. Une personne qui se retire à 55 ans après 30 ans d’emploi passera ainsi pratiquement autant d’années à la retraite que sur le marché du travail-sans compter les années d’études. L’évolution des politiques de retraite au Québec n’a pas tenu compte de ces réalités.
La situation s’est corsée dans les années 1980, où des mesures favorisant la retraite anticipée ont été instaurées dans un contexte de chômage élevé et pour faire de la place aux jeunes sur le marché du travail. Cela aussi a changé: maintenant on doit faire face à des pénuries de main-d’oeuvre qualifiée dans certains secteurs.
Ces phénomènes entraîneront bientôt un ralentissement de la croissance économique et des recettes fiscales et une plus faible création de richesse alors que les dépenses s’alourdiront, surtout en santé. La situation est encore plus préoccupante au Québec, où on prend sa retraite plus tôt qu’ailleurs (60,1 ans contre 61,5 ans au Canada), où le taux d’activité des personnes plus âgées (52%) est plus faible que dans le reste du Canada (61%) et où la population vieillit plus vite qu’ailleurs. On estime que dans les prochains 25 ans, la population âgée de 65 ans et plus doublera au Québec alors que la population plus jeune continuera de diminuer tout en augmentant ailleurs. La Régie des rentes du Québec estime que le nombre de bénéficiaires augmentera de 19% d’ici 2011 et de 90% d’ici 2030. Cette augmentation rapide de nouveaux retraités exercera une pression sur les régimes de pension. Pour toutes ces raisons, nous devons arrêter d’inciter à la retraite anticipée et plutôt encourager les gens à travailler plus longtemps.
Les régimes de retraite actuels pénalisent le travail
Les lois d’encadrement des régimes de retraite et les lois fiscales font qu’il est souvent peu payant de continuer à travailler comparativement à une prise de retraite hâtive. Le régime de rentes du Québec contient une bonification pour une retraite plus tardive de 0,5% par mois et une réduction de 0,5% par mois pour une retraite avant 65 ans. D’après l’Actuaire général du Canada, le système actuel est injuste envers les gens qui prennent leur retraite plus tard et est trop généreux envers ceux qui se retirent avant.
En ce qui concerne les régimes privés, la loi prévoit que le taux de réduction appliqué lors d’une retraite anticipée ne doit pas pénaliser financièrement le prestataire à long terme. De plus, contrairement aux personnes en retraite progressive, les personnes en retraite anticipée qui participent à un régime de pension privé peuvent recevoir des prestations de raccordement.
Trois solutions
Pour favoriser davantage le travail chez les personnes plus âgées, le gouvernement du Québec a proposé de bonifier les prestations de 0,5% à 0,7% pour les retraites prises après 65 ans. Réciproquement, on pourrait appliquer un plus grand taux de réduction des prestations pour les personnes qui se retirent avant 65 ans. En plus de décourager les retraites anticipées, cette mesure aurait pour effet de réduire les coûts du régime et les cotisations plutôt que de les augmenter.
Les régimes privés devraient pouvoir introduire une pénalité pour les prises de retraite anticipées, qui doivent actuellement être permises, avec une simple réduction actuarielle, à partir de 55 ans au plus tard.
Vu l’augmentation généralisée de l’espérance de vie et l’amélioration de l’état de santé des personnes plus âgées, le relèvement de l’âge normal de la retraite de 65 à 67 ans doit aussi être envisagé. Plusieurs pays, notamment les États-Unis et plus récemment l’Allemagne, ont adopté cette solution, alors que le Royaume-Uni s’engage dans cette direction. Quelles que soient les mesures choisies, il est important de redresser la situation le plus tôt possible avant que les problèmes prévus ne se concrétisent davantage.
Norma Kozhaya est économiste à l’Institut économique de Montréal.