En finir avec la margarine colorée!
Le 7 juin prochain, le ministre Bachand assistera à une réunion des ministres responsables du commerce intérieur canadien. Le représentant du Québec devra probablement expliquer pourquoi sa province considère encore nécessaire d’interdire la vente de margarine colorée. Aucun autre endroit dans le monde n’agit ainsi.
Cette réglementation est possiblement l’un des problèmes les plus anciens et figé du commerce intérieur canadien – et possiblement aussi l’un des plus absurdes, irrationnels et embarrassants.
L’idée à l’origine de cette interdiction est que les consommateurs seraient dupés en croyant qu’il s’agit de beurre, même si l’emballage du produit indique ostensiblement qu’il s’agit de «margarine». Tout le monde, y compris le gouvernement du Québec, s’accorde maintenant pour dire que le consommateur québécois n’a pas besoin d’être protégé des «dangers» de la margarine colorée et que retirer cette interdiction profiterait à l’économie de la province. La véritable raison expliquant cette interdiction est tout simplement la vieille habitude de protéger les producteurs laitiers québécois. Nous encourageons le gouvernement à ne plus donner suite à cette demande protectionniste.
Une protection devenue inutile
En 1997, le gouvernement du Québec a proposé un amendement réglementaire afin de retirer l’interdiction de la margarine colorée et de respecter ses obligations en vertu de l’Accord sur le commerce intérieur (ACI). Cet accord a été signé par tous les gouvernements au sein du Canada en 1994 afin d’établir un marché intérieur ouvert, efficace et stable. Mais le gouvernement retira ensuite cet amendement.
Pourquoi donc? Juste avant l’élection québécoise de 1998, le gouvernement décida que l’interdiction de la margarine colorée demeurait nécessaire pour protéger les producteurs laitiers, qui lui avaient demandé de la maintenir.
Les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, admettent que le Québec a le droit constitutionnel de protéger ses producteurs laitiers. Ce n’est pas une question de compétence. Cependant, il ne fait pas de doute que cette interdiction de la margarine colorée viole nos obligations commerciales interprovinciales. En juin 2005, un groupe d’experts de l’ACI a décidé que l’interdiction de la margarine colorée constituait une barrière commerciale et que le Québec devait la retirer avant le 1er septembre 2005. Le Québec a déjà accepté le fait que des mesures valides constitutionnellement pouvaient être incompatibles avec l’accord et devraient être changées le cas échéant.
Jusqu’à maintenant il a été facile pour le Québec d’ignorer ses obligations en vertu de l’ACI de même que la décision du groupe d’experts. Il n’y a eu de conséquences ni pour le gouvernement ni pour les producteurs laitiers québécois. Toutefois, cela risque de changer bientôt.
Risques de représailles
L’ACI permet aux provinces de mettre en vigueur des représailles si un gouvernement refuse de se conformer à une décision du groupe d’experts dans un délai d’un an. L’ACI précise que les représailles doivent avoir un «effet équivalent» et qu’elles pourront être maintenues jusqu’à ce que la province fautive retire ses restrictions.
Le groupe Industrie de l’huile végétale du Canada (VOIC) estime que les restrictions du Québec envers la margarine colorée coûtent à leur industrie 25 millions $ chaque année. L’Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba, les provinces qui ont déposé la plainte en vertu l’ACI, pourraient mettre en place un embargo sur les produits laitiers ou autres du Québec jusqu’à un maximum de 25 millions $ par année, à partir de maintenant, jusqu’à ce que les restrictions soient retirées.
L’ACI est un engagement réciproque. Quand le Québec l’a signé, il a obtenu l’accès à d’autres marchés provinciaux en échange de l’accès à son propre marché. Le gouvernement du Québec sait très bien que s’il en retire un avantage indu, les autres parties ont le droit d’obtenir un avantage compensatoire du Québec.
Aux producteurs de devenir plus créatifs
Les producteurs laitiers québécois possèdent une part de marché disproportionnée du marché national du lait – grâce au système canadien de gestion de l’offre. Nous devons maintenant décider si nous souhaitons protéger notre industrie laitière de la concurrence en pénalisant les fermiers et les entreprises de transformation dans les autres provinces, ou si nous voulons continuer de bénéficier du libre-échange en respectant les obligations inhérentes à l’ACI.
Le Québec devrait choisir d’éliminer l’interdiction de la margarine colorée, qui réduit les choix disponibles aux consommateurs sans raison valable. Les producteurs laitiers québécois n’ont pas besoin de davantage de protection, au contraire. L’industrie laitière doit devenir plus compétitive et innovatrice. Qu’elle favorise la consommation de produits laitiers en commercialisant des produits que les consommateurs veulent acheter, plutôt qu’en se protégeant de la margarine par l’entremise de la réglementation.
Le gouvernement du Québec souhaite être perçu comme un défenseur du libre-échange. Dans son récent discours inaugural, le premier ministre Jean Charest a annoncé son intention de négocier un accord de libre-échange avec l’Ontario. C’est une bonne idée. Pourquoi ne pas montrer notre bonne volonté à nos partenaires commerciaux en mettant fin à cette réglementation archaïque de la margarine?
Robert Knox est chercheur associé à l’Institut économique de Montréal.