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Textes d'opinion

Le coût de la procrastination

L’Action démocratique du Québec a exigé du gouvernement qu’il oblige la Société d’assurance automobile du Québec à étaler les hausses de primes prévues pour 2008. Il s’agit là d’une prise de position malheureuse. Bien sûr, personne n’aime voir augmenter une prime d’assurance, des frais ou un prix. Mais dans le cas présent, il s’agit d’un rattrapage qu’on a déjà trop reporté.

On compare souvent le cas de l’assurance automobile, dont la prime est gelée à 130 $ depuis 1985, à celui des frais de scolarité universitaires, des tarifs d’électricité ou de la contribution parentale dans les CPE. Ces prix aussi ont été gelés pendant plusieurs années, puis dégelés. Mais la meilleure leçon à tirer vient de l’histoire du Régime de rentes du Québec qui, comme le régime d’assurance automobile, a été conçu pour être capitalisé, du moins partiellement.

À partir du milieu des années 1980, fasse à la baisse de la natalité, la Régie des rentes avait averti le gouvernement du déficit actuariel du RRQ et recommandait d’augmenter substantiellement le taux de cotisation afin d’en assurer l’équilibre. Préférant écouter les objections des employeurs, les gouvernements successifs n’ont augmenté le taux de cotisation combiné (travailleur + employeur) que de 2,0 % en dix ans, de 1986 à 1996, une hausse insuffisante pour rétablir l’équilibre du régime. Puis, acculé au mur de l’épuisement de la réserve, le gouvernement s’est résolu en 1997 à une augmentation draconienne: le taux combiné a alors bondi de 6,0 % à 9,9 % en 2003, soit une hausse de 65 % en six ans. Résultat: un choc fiscal pour les employeurs et un énorme transfert de richesse intergénérationnel entre les travailleurs. En effet, en sous-cotisant au RRQ dans les années 1980 et 1990, les baby-boomers ont effectivement reporté vers les générations suivantes une partie du coût de leurs retraites. Voilà le prix de la procrastination.

La SAAQ a alerté le gouvernement quant au déséquilibre actuariel du régime d’assurance automobile depuis le début des années 2000. Après moultes tergiversations, le gouvernement a finalement adopté en 2004 le projet de loi 55, qui visait notamment à recapitaliser le régime d’assurance automobile en dépolitisant le processus de fixation des primes. La SAAQ a tout de même laissé passer 2006 et 2007, années électorales, en reportant la hausse des primes à 2008.

En dépit des bons rendements récents de son actif, il reste que le régime d’assurance automobile continue d’accuser un déficit de l’ordre d’un demi-milliard de dollars par année. Tout étalement additionnel de la hausse de la prime retarderait encore une fois le retour à l’équilibre financier. Comme dans le cas du RRQ, la procrastination y entraîne un transfert de fardeau vers les assurés les plus jeunes, au profit des assurés les plus âgés.

Tant l’opposition officielle que le gouvernement doit permettre à la SAAQ de retrouver la santé financière et de réduire l’entorse déjà commise au principe d’équité intergénérationnelle. Un élu a le droit de rejeter l’augmentation des primes d’assurance, mais qu’il ait alors le courage d’indiquer quelle prestation devrait être diminuée en contrepartie. Ou qu’il propose une façon de rendre le fonctionnement de la SAAQ plus efficace. Il y a peut-être du travail à faire de ce coté. Mais de simplement en appeler à un report de la hausse des primes revient, comme ailleurs, à «hypothéquer une génération pour gagner une élection».

Paul Daniel Muller est président de l’Institut économique de Montréal.

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