Leur traître, mon héros
Le débat concernant les heures d’ouverture des commerces a refait surface récemment quand un concessionnaire automobile de Montréal, Pie-IX Dodge Chrysler, a semé la joie chez ses clients et l’émoi chez ses concurrents en ouvrant ses portes la fin de semaine.
Les dirigeants et employés de ce concessionnaire reconnaissent que la société a changé et que les gens ont aujourd’hui des horaires plus chargés qu’il y a 30 ans. Plusieurs de leurs clients réclamaient de pouvoir magasiner à leur aise la fin de semaine, comme ailleurs en Amérique du Nord. Normal: une automobile représente un achat majeur!
Les dirigeants se sont entendus avec leurs représentants des ventes, qui ont accepté de restructurer leur horaire de travail. L’employeur a même embauché d’autres employés pour répondre à la demande.
Tout le monde y trouve son compte, semble-t-il. En fait, non. Lorsqu’un commerçant modifie ses heures d’ouverture ou son offre dans un sens qui plaît aux consommateurs, ses concurrents doivent s’adapter, au risque de perdre une partie de leur clientèle. Être forcé de toujours se remettre en question pour faire face à la concurrence, voilà bien l’un des aspects les plus ennuyeux de l’économie de marché!
Dans un passage de son chef-d’oeuvre La richesse des nations (1776), le philosophe et économiste Adam Smith remarquait que lorsque des gens qui font le même métier se rencontrent, leurs conversations ont tendance à se conclure sur des façons de conspirer contre le public. La nature humaine est ainsi faite: on préfère généralement les solutions faciles à l’effort.
Si l’on peut s’entendre sur une hausse de prix, sur un partage du gâteau qui assure un morceau pour tous, ou sur des méthodes de gestion qui permettent de faire moins d’efforts sans être sanctionné, pourquoi s’en passer?
En pratique, ces collusions sont difficiles à maintenir dans une économie de marché: il suffit qu’un joueur fasse défection, ou qu’un nouveau venu refuse d’y adhérer, pour que le pacte s’effondre. Voilà comment la libre concurrence si chère à Adam Smith protège le consommateur et pousse les entreprises à toujours s’améliorer.
Par contre, les restrictions à la liberté de commerce, d’entreprise et de travail qui sont imposées par la loi ont la vie dure. C’est ce qu’on observe dans les secteurs où les gouvernements ont instauré des monopoles légaux (assurance maladie, commerce de l’alcool, service postal à domicile) ou ont donné à des associations sectorielles ou professionnelles le pouvoir de régir l’entrée de nouveaux membres (travailleurs de la construction, médecins). Dans ces cas, un seul acteur entreprenant prêt à briser le rang reste impuissant. C’est toute une campagne qu’il faut alors organiser pour venir à bout des forces corporatistes qui défendent leur bifteck.
Heureusement, dans le cas du commerce de l’automobile, la corporation des concessionnaires n’a pas le pouvoir d’imposer ses règlements à ses membres. Les concurrents de Pie-IX Dodge Chrysler tentent donc de forcer le dissident à rentrer dans le rang par des boycotts, des manifestations et des gestes d’intimidation.
Espérons que ce concessionnaire rebelle, ses dirigeants et ses employés tiendront bon. Pour leurs concurrents, ce sont des traîtres. Mais pour moi, consommateur, ce sont des héros.
Paul Daniel Muller est président de l’Institut économique de Montréal.