Faut-il sauver des emplois?
Goodyear a annoncé il y a quelques semaines qu’elle cessera bientôt de produire des pneus à son usine de Valleyfield, une décision qui entraînera la perte de 800 emplois. Des ministres se sont dès lors empressés d’offrir des fonds publics pour appuyer un éventuel projet de relance.
Cette annonce constitue évidemment un coup dur pour des centaines de familles et nuira sans doute aux commerces de la région, du moins temporairement. Mais l’aide gouvernementale peut-elle vraiment faire une différence?
Goodyear a décidé de se restructurer pour devenir plus compétitive. Elle a déjà annoncé la suppression de 2 000 emplois en d’autres pays. Les fonds publics ne changeront pas les conditions actuelles du marché du pneu. Et on se demande quelle est l’expertise des fonctionnaires et des politiciens pour choisir d’investir notre argent dans l’industrie du pneu – plutôt que dans celle de la tomate ou du vêtement.
Lorsqu’ils réussissent à «sauver» des emplois, les gouvernements maintiennent en fait à bout de bras des activités qui ne sont plus rentables. L’intervention publique engouffre des ressources que les compagnies elles-mêmes refusent d’investir, car elles connaissent mieux que quiconque leurs coûts, le marché dans lequel elles évoluent et leurs perspectives de rentabilité. C’est pourquoi ces plans de relance se soldent bien souvent par des échecs.
Au milieu des années 1990, l’économiste Jeremy Rifkin annonçait la «fin du travail» en raison des changements technologiques et des restructurations d’entreprises dans un contexte de mondialisation. Son scénario pessimiste ne s’est pas réalisé. Comme l’indiquait l’économiste français Frédéric Bastiat dans un essai publié il y a plus de 150 ans, il est en effet toujours possible de faire « autre chose» lorsque le commerce ou des machines rendent certaines productions obsolètes.
C’est justement ce que font les Québécois: autre chose. Ainsi la main-d’œuvre agricole a fondu pendant un siècle grâce aux progrès technologiques.
La main-d’oeuvre ainsi libérée est allée travailler en usine, puis dans les services. Aujourd’hui, le taux de chômage est à son niveau le plus bas depuis 30 ans et on observe des pénuries de travailleurs dans plusieurs spécialités. À la limite, plus on «sauve» des emplois qui risquent de disparaître, plus on limite les possibilités de croissance des entreprises qui essaient d’embaucher.
Le maire de Valleyfield, Denis Lapointe, a mis le doigt sur l’essentiel en déclarant au lendemain de l’annonce de Goodyear: «Je reste optimiste. Plusieurs entreprises annonceront bientôt leur implantation à Valleyfield en 2007. Nous allons donc pouvoir récupérer une partie de ces emplois».
La disparition de centaines d’emplois concentrés dans une région fait les manchettes. Mais on oublie qu’il se perd et se crée des milliers d’emplois au Québec chaque mois.
L’important est en effet de s’assurer qu’au net, il se crée plus d’emplois qu’il ne s’en perd. Et si les gouvernements ont un rôle important à jouer à ce titre, c’est bien de s’assurer que le cadre réglementaire et la fiscalité des entreprises encouragent l’investissement et la création d’emplois, et que les travailleurs mis à pied puissent facilement passer de leur ancien à leur nouveau.
Paul Daniel Muller est président de l’Institut économique de Montréal.