Quatre façons de dépenser
Le Vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, révélait la semaine dernière une série de dépenses injustifiées effectuées par les dirigeants de la Société nationale du cheval de course (SONACC), y compris des dîners somptueux. Cet autre dérapage au sein d’une société d’État, après celui à la Société des alcools du Québec (SAQ), illustre de façon spectaculaire le propos du prix Nobel d’Économie, Milton Friedman, décédé le mois dernier. Friedman avait, non sans humour, déterminé quatre manières de dépenser, incitant les gens à «regarder à la dépense» différemment.
- 1. Investir son propre argent pour son propre bien-être, en veillant à en obtenir le plus possible pour son argent.
- 2. Dépenser pour le bénéfice d’autrui, comme lorsqu’on offre un cadeau à quelqu’un. Ici, nous nous préoccupons d’habitude du coût du cadeau, mais pas nécessairement du degré de satisfaction qu’il va occasionner.
- 3. Se servir de l’argent des autres pour son propre bien-être. Dans ce cas, il est possible que l’on se traite aux petits oignons.
- 4. Enfin, dépenser l’argent des autres au bénéfice d’autrui. Et dans ce cas, nous nous soucions peu du coût et du niveau de bien-être procuré. C’est le cas des gouvernements.
Les dérapages à la SONACC et à la SAQ correspondent au troisième cas. Mais que dire des dirigeants politiques qui ont été responsables de ces deux sociétés d’État? Ils relèvent du quatrième cas!
Ainsi, l’ancien ministre des Finances, Bernard Landry, dont relevait la SONACC, et le ministre actuel, Michel Audet, responsable de la SAQ, ont nié avoir été au courant des dérapages dans ces sociétés État.
Selon Friedman, il y a lieu de les croire! Ces dérapages permettent en effet d’apprécier la difficulté pour les dirigeants de l’État de veiller à la saine utilisation des fonds publics. On a beau multiplier les contrôles, il reste que ce sont des gens qui dépensent l’argent des autres au bénéfice d’autrui – et parfois pour leur propre bien-être.
Comment aller au fond du problème pour éviter les de tels dérapages? En réformant l’État de manière à rapprocher le plus possible celui qui profite d’une dépense de celui qui la gère, et même de celui qui la finance.
Ainsi le gouvernement pourrait financer la consommation de services jugés d’intérêt public plutôt que leur fourniture. Par exemple, il pourrait s’en tenir à aider les locataires à faible revenu à trouver un logement sur le marché locatif privé plutôt que de fournir lui-même des habitations à loyer modique; aider les parents plutôt que de subventionner les garderies; aider les personnes âgées en perte d’autonomie plutôt que de subventionner les centres d’hébergement. Dans ces cas, et dans plusieurs autres, les consommateurs auraient un intérêt direct à identifier le fournisseur offrant le meilleur rapport qualité-prix.
Du coté de l’offre, il y aura des surcoûts tant que des organismes publics détiendront des monopoles et tant que leur survie sera fonction de leur ingéniosité à obtenir des budgets publics plutôt qu’à servir leur clientèle. C’est par la mise en concurrence des fournisseurs de services, avec la pression constante sur les coûts qu’elle entraîne, que ceux-ci seront incités à améliorer leur efficacité et à éviter les abus.
Paul Daniel Muller est président de l’Institut économique de Montréal.