Téléphonie locale: enfin une véritable concurrence
L’annonce du ministre canadien de l’Industrie, Maxime Bernier, d’accélérer la déréglementation de la téléphonie locale a suscité des réactions négatives chez les associations de consommateurs. On craint notamment que les anciens monopoles, libérés de certaines contraintes réglementaires, ne reprennent le contrôle du marché et fassent payer aux régions la guerre de prix à court terme qui aura lieu dans les centres urbains.
Au profit des consommateurs
Cette crainte est injustifiée. En réalité, la conséquence de la réforme du ministre, si elle entre en vigueur après la période de consultation, est que la concurrence s’accentuera au profit des consommateurs, à l’image de ce qui s’est passé depuis quinze ans dans l’interurbain.
Lorsque le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) déréglemente un secteur de la téléphonie, il le fait généralement en deux étapes. Il ouvre d’abord le marché et permet à de nouveaux joueurs de venir concurrencer les anciens monopoles. Durant cette première phase, la réglementation continue toutefois de s’appliquer aux anciens monopoles. Dans l’intention de les empêcher de tuer la concurrence dans l’œuf, on leur interdit par exemple de baisser leurs prix, même si sur le terrain cela se traduit par moins de pression concurrentielle et moins de bénéfices pour les consommateurs.
Puis, quelques années plus tard, le CRTC déréglemente les anciens monopoles et permet une concurrence plus intense et directe entre eux et les nouveaux joueurs. C’est à ce moment que les prix commencent véritablement à baisser.
Ainsi, dans la première phase de déréglementation des interurbains à partir de 1993, les prix n’ont pas beaucoup diminué. Selon les données du CRTC, ils sont demeurés autour de 35 cents par minute. Pendant cette période, les nouveaux joueurs, protégés par le CRTC, n’avaient pas vraiment intérêt à offrir leurs services à des prix beaucoup plus bas que ceux, réglementés, des anciens monopoles. Ce n’est qu’à partir de 1998, quand ces derniers ont été déréglementés, que les prix ont chuté à 10 cents la minute, sous l’effet d’une véritable concurrence.
Le secteur de la téléphonie locale a été ouvert à la concurrence en 1998. Depuis, plusieurs compagnies se sont mises à offrir des services, soit en utilisant la technologie de voix sur IP, soit en louant des parties de réseau des anciens monopoles à des prix de gros avantageux réglementés par le CRTC.
Nouveaux joueurs
Depuis l’année dernière, les câblodistributeurs sont aussi entrés dans le marché en transformant leur propre réseau de câble pour pouvoir y transmettre un signal téléphonique en plus des canaux de télévision. De fait, des dizaines de milliers de clients passent chaque mois des anciens monopoles vers des câblodistributeurs comme Vidéotron, COGECO, Rogers ou Shaw.
Et c’est sans compter la concurrence qui provient de la téléphonie cellulaire, qui devient de plus en plus un véritable substitut à la téléphonie traditionnelle — ce que le CRTC ne reconnaît toujours pas officiellement, bien qu’il ait débuté des consultations sur le sujet. Comment le nier lorsqu’on constate que plus de 5% des ménages canadiens n’ont maintenant plus de téléphone connecté dans le mur et n’utilisent plus que leur cellulaire?
Quand et qui devrait-on déréglementer?
Le débat qui a lieu aujourd’hui est finalement le suivant: y a-t-il suffisamment de concurrence dans le marché de la téléphonie locale pour passer à la deuxième phase et laisser les anciens monopoles fixer librement leurs prix? Le CRTC avait établi, dans une décision d’avril 2006, un test pour répondre à cette question: dans les régions où les concurrents ont obtenu au moins 25% des parts de marché et où un certain nombre d’autres critères techniques sont satisfaits, on présumera que oui.
Le ministre Bernier dit essentiellement, dans sa proposition de modification de la décision du CRTC, que ce dernier propose un test trop arbitraire qui retardera de façon indue les effets bénéfiques d’une déréglementation. Selon lui, il est évident que les consommateurs ont un véritable choix lorsqu’ils peuvent obtenir, en plus du téléphone traditionnel, des services téléphoniques d’un câblodistributeur et d’au moins un réseau sans fil non affilié aux deux autres réseaux filaires. Les régions où l’on pourrait immédiatement permettre aux anciens monopoles de déterminer eux-mêmes leurs prix incluraient, selon ce test, 60% de la population du pays.
Des compagnies offrant des services de téléphonie cellulaire ou par câble, qui ont investi des milliards pour développer leurs réseaux, ne disparaîtront certainement pas du jour au lendemain sous l’effet d’une concurrence accrue. Elles prendront les moyens pour rentabiliser leurs investissements, qui ont été faits en sachant qu’un jour ou l’autre, cette seconde étape de la déréglementation arriverait.
Et malgré les craintes de certains, Ottawa n’abandonne ni les autres concurrents, ni les régions rurales et éloignées. Les tarifs de Bell, Telus et des autres ex-monopoles régionaux continueront d’être réglementés dans les régions où les consommateurs ne peuvent pas choisir entre plusieurs services de téléphonie locale. Quant aux compagnies sans réseau, leur situation ne changera pas non plus: la réforme ne touche pas à la réglementation des services de gros qu’elles achètent auprès des ex-monopoles.
Jusqu’ici, Bell et Telus ne pouvaient offrir de forfaits incluant la téléphonie locale (en plus d’Internet, du sans fil et de la télévision), puisque l’inclusion d’un service réglementé faisait en sorte que tout le forfait tombait sous la coupe réglementaire du CRTC. Les anciens monopoles et les nouveaux joueurs seront donc désormais soumis aux mêmes règles du jeu. Autant la logique économique que l’expérience passée démontrent que ce sont les consommateurs qui en sortiront les grands gagnants.
Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’IEDM et auteur de la Note économique intitulée «A-t-on encore besoin de réglementer la téléphonie?»