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Textes d'opinion

Non à une loi fédérale «anti-scab»

Deux projets de lois similaires, présentés par le Bloc Québécois et le NPD, sont à l’ordre du jour des travaux de la présente session parlementaire. Les deux ont pour objectif d’interdire aux employeurs régis par le Code canadien du travail d’embaucher des travailleurs de remplacement (ou «scabs» dans le langage populaire) pour remplir les fonctions des employés en grève ou en lock-out.

Le Congrès du travail du Canada (CTC) a lancé une campagne pour appuyer les deux projets de lois et faire pression sur les élus fédéraux en faveur de leur adoption. Se référant à la situation dans les trois provinces qui ont eu une telle législation, le CTC soutient sur son site Web qu’elles ont perdu moins de jours de travail que les autres au cours de conflits de travail. Selon le syndicat, les lois anti-briseurs de grève favoriseraient en effet la paix ouvrière.

Seuls le Québec et la Colombie-Britannique interdisent toujours les travailleurs de remplacement, depuis 1977 et 1993 respectivement. En Ontario, la loi a été abrogée après avoir été en vigueur pendant seulement trois ans dans les années 1990.

Les données citées par le CTC sont exactes, mais incomplètes, et elles cachent une bonne partie de la réalité. Il est vrai, par exemple, qu’au Québec le nombre moyen de journées de travail perdues à cause de grèves a diminué depuis 1976. Mais le Québec n’a rien d’exceptionnel à cet égard. Pour diverses raisons qui n’ont rien à voir avec les lois anti-scabs, le nombre de conflits de travail, et aussi le nombre moyen de journées de travail perdues, ont en effet diminué partout au Canada depuis la fin des années 1970.

Au Québec

Au Québec, le nombre d’arrêts de travail est ainsi passé de 311 en 1980 à 94 en 2004, pour remonter cependant à 147 en 2005. Il est passé en Ontario de 268 en 1980 à 72 en 2005. Dans les secteurs couverts par le code du travail fédéral, on comptait 69 conflits de travail en 1980, 25 en 2004 et 5 en 2005. A-t-on vraiment besoin d’une nouvelle loi pour atteindre le chiffre de 0?

Les jours-personnes non travaillés constituent une autre façon de mesurer les pertes économiques dues aux arrêts de travail. Dans l’ensemble du pays, le nombre de jours-personnes non travaillés en raison de grèves ou lock-out, par 1000 employés, a diminué de 949 en 1980, à 174 en 2001 pour remonter à 301 en 2005.

Les affirmations du CTC sur les meilleures relations de travail qui prévaudraient au Québec à cause des dispositions anti-briseurs de grèves en vigueur dans la province contrastent avec la situation réelle. Selon des données publiées en août par Statistique Canada, le Québec occupe toujours la première place parmi les provinces en termes de nombre d’arrêts de travail et de jours-personnes non travaillés.

En effet, 45% des 743 grèves et lock-out répertoriés au Canada entre 2003 et 2005 ont eu lieu au Québec. L’Ontario arrive en deuxième lieu avec 31% des arrêts de travail et la Colombie-Britannique en troisième lieu avec 5,1%. Les arrêts de travail au niveau fédéral représentent quant à eux 5,5% du total.

En ce qui concerne les jours-personnes non travaillés, malgré le petit nombre d’arrêts de travail observés, ce sont les travailleurs relevant de la compétence fédérale qui ont enregistré la proportion la plus élevée de jours-personnes perdus (33%), suivis des travailleurs du Québec (30%) et de l’Ontario (15%). Mais il s’agit plus d’une situation d’exception que d’une tendance. Pour les trois années précédentes, soit de 2000 à 2002, ces proportions étaient de 14%, 18% et 37% respectivement.

De plus grands syndicats

Par ailleurs, comme l’explique l’étude de Statistique Canada, «les secteurs de compétence fédérale comptent plusieurs grands syndicats, et le nombre important de jours de travail perdus s’explique entre autres par des grèves relativement longues en 2005, mettant en cause des travailleurs affiliés à quelques grandes unités de négociation». Il est intéressant de noter que plusieurs des entreprises régies par le Code canadien du travail sont de grandes entreprises opérant traditionnellement dans des situations d’oligopole ou de quasi-monopole. Ceci pourrait contribuer à l’explication de la durée plus longue des conflits observée récemment (entre 2002 et 2005, des conflits de travail ont eu lieu à Telus, Aliant et Vidéotron). Lorsque ces entreprises sont en arrêt de travail, les risques de perte de part de marché ou de fermeture sont relativement faibles. L’incitation à un règlement rapide est par conséquent faible tant de la part de l’entreprise que des syndicats.

Au-delà de ces chiffres, il faut garder à l’esprit que d’autres facteurs socio-économiques peuvent affecter la durée des grèves et leur nombre comme par exemple le taux de chômage dans la province, la variation des salaires au cours des négociations précédentes, l’occurrence ou non de grève dans les négociations précédentes, la taille de l’unité de négociation et ainsi de suite. À cet égard, une étude statistique tenant compte de ces différents facteurs est plus susceptible de donner un portrait plus exact de la situation et de mieux éclairer les débats. Les seules études disponibles qui comparent l’évolution des conflits de travail dans les provinces tracent un portrait différent de ce que prétendent les militants en faveur de lois anti-briseurs de grèves.

En effet, ces études contredisent l’affirmation courante qui veut que les dispositions anti- briseurs de grève limitent la durée des conflits. Celles de M. Gunderson et A. Melino (1990), J. Budd (1996), et P. Cramton, M. Gunderson et J. Tracy (1999) concluent que ces dispositions sont au contraire associées avec des grèves plus longues. Pour ce qui est de la fréquence des grèves, la première et la troisième de ces études concluent que ces dispositions ont pour effet d’augmenter la probabilité qu’une grève ait lieu alors que dans la deuxième elles n’auraient pas d’effet significatif sur la fréquence des grèves.

Espérons que les parlementaires tiendront compte des conclusions de ces recherches lors des débats entourant ces deux projets de loi.

Norma Kozhaya est économiste à l’Institut économique de Montréal.

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