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Textes d'opinion

La responsabilité des sociétés

Lors de leur récent congrès annuel, les jeunes libéraux du Québec ont relancé le débat sur la responsabilité sociale des entreprises en adoptant une résolution exigeant que les sociétés québécoises dressent un «bilan social».

Il n’y a rien de nouveau dans cette idée, présentée lors de la Commission sur la démocratie canadienne et la responsabilisation des entreprises il y a cinq ans. C’était une mauvaise idée à l’époque et ça le demeure.

Pourquoi? Parce qu’elle vise à imposer aux entreprises privées les mêmes devoirs qu’ont les gouvernements. Ce sont toutefois des «créatures» fondamentalement différentes. Leurs raisons d’être, leurs intérêts, leurs modes de financement et de gestion divergent sous plusieurs aspects, l’une étant assujettie aux lois du marché, l’autre au vote populaire.

Les gouvernements sont responsables devant le peuple et tirent leur pouvoir et leur légitimité d’un scrutin démocratique. Lorsqu’ils imposent une règle ou une politique, celle-ci s’applique à tous, sous peine de sanctions pénales. De même, les activités de l’État sont financées par la coercition: personne n’a le choix de payer ou non ses impôts. En conséquence, le gouvernement doit rendre des comptes à ceux qui lui ont donné le mandat de régir la vie en société en leur nom.

Dans l’entreprise privée, ce sont les investisseurs et les entrepreneurs qui prennent les risques, reçoivent les bénéfices ou encaissent les pertes. L’entreprise ne dispose d’aucun moyen légal pour imposer ses décisions à ses clients; elle dépend des consommateurs qui décident librement d’acheter ses produits et services. Ses rapports avec tous les intervenants économiques et sociaux – employés, clients, fournisseurs, les communautés où elle fait affaire – se font sur la base de relations contractuelles volontaires.

On ne peut donc pas considérer les entreprises comme des extensions de l’État vouées à la poursuite d’objectifs sociaux. C’est d’ailleurs la conclusion du lauréat du prix Nobel d’économie Milton Friedman. Il y a 35 ans, il écrivait que la vraie responsabilité sociale des entreprises est de faire des profits, c’est-à-dire de créer des emplois et de satisfaire leur clientèle assez efficacement pour en dégager un surplus. Rien dans cette mission ne va à l’encontre de l’environnement ou du milieu social, dans la mesure où les droits de propriété de chacun sont respectés.

Maintes entreprises créent des fondations de bienfaisance, commanditent des événements, donnent aux organismes caritatifs, etc. Si une entreprise estime que cela valorisera son image d’adopter un bilan social, c’est son choix, mais l’État ne devrait pas le lui imposer.

L’entrepreneur québécois consacre déjà 15% de son temps à se conformer à la règlementation de l’État. Pourquoi lui imposer un autre fardeau, qui se traduirait par plus de coûts, moins d’embauches, moins de capital à investir, et des prix plus élevés pour les consommateurs?

Espérons que le premier ministre Jean Charest rejettera cette idée, comme il l’a fait avec une autre des résolutions des jeunes libéraux, la Charte des grands projets. Le bilan social n’a rien à voir avec la responsabilité sociale, qui implique, par définition, la liberté de choix. La liberté est le corollaire obligatoire de la responsabilité; on ne peut pas l’imposer de façon coercitive.

Tasha Kheiriddin est vice-présidente exécutive de l’Institut économique de Montréal.

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