Le Canada en 2020: une contrée réglementée
Imaginez un endroit où les maisons privées contiennent un fumoir surveillé par le gouvernement, où les citoyens n’ont pas le droit d’acheter plus d’un cheeseburger par mois et où il faut un permis spécial de consommation d’alcool pour en boire. Où le seul chien qu’on peut posséder est un chihuahua châtré et où la garderie est obligatoire pour tous les enfants âgés de deux à cinq ans.
Bienvenue au Canada en 2020, aussi connu sous le nom de «contrée réglementée». Un endroit où les libertés individuelles sont choses du passé. Un pays où, au nom du bien commun, les mauvaises habitudes sont soit interdites soit tellement restreintes que les gens sont forcés de les abandonner. Un endroit où l’objectif d’une population sage et en santé prime sur des concepts ridicules tels que la liberté (n’y avait-il pas une Charte pour la protéger, autrefois?) et où le gouvernement sait mieux que vous comment élever vos enfants.
La cigarette fut la première à subir la colère de l’État. En 2020, la fumée n’est pas simplement réglementée dans les lieux publics, les restaurants et les milieux de travail, mais aussi dans les domiciles privés. Pour les ménages avec enfants, fumer est illégal, même sur le balcon. Les habitations abritant uniquement des adultes doivent comporter un fumoir isolé, ventilé et surveillé par une caméra en circuit fermé reliée au système de télévision du gouvernement. Seulement quatre personnes à la fois peuvent utiliser la pièce, pour réduire les risques d’incendie et s’assurer que les systèmes de ventilation fonctionnent adéquatement.
Les aliments à haute teneur en gras furent les prochains sur la liste. En 2020, ils sont rationnés et les citoyens doivent signaler à tous les deux mois leur consommation à leur centre local de surveillance du cholestérol (CLSC). Des tests de dépistage sont aussi effectués au hasard sur les lieux de travail. Si votre taux de cholestérol dépasse un certain niveau, vos crédits de cheeseburgers peuvent être confisqués pendant une période d’un an. Évidemment, un immense marché noir de crédits s’est formé en réaction. On peut aussi acheter des cheeseburgers en quantité illimitée sur les réserves autochtones, qui ont bénéficié en conséquence d’une croissance surprenante du nombre de restaurants McDonald’s.
L’alcool se trouve aussi sur la liste noire du gouvernement. Grâce à un nouveau mouvement de tempérance, formé à l’image du mouvement de contrôle des armes à feu de la fin du siècle dernier, il est désormais nécessaire de posséder un permis spécial d’alcool pour en acheter et en boire. Quiconque présente des antécédents de problèmes de santé mentale, une séparation ou un divorce ne peut obtenir de permis et peut se voir retirer celui qu’il possède déjà.
D’autres aspects de la vie des citoyens, par exemple l’éducation des enfants, sont aussi réglementés. Après avoir lutté avec succès pour la mise en place d’un système de garderies publiques universel, les militants voulurent faire un autre pas en avant et demandèrent que l’inscription soit obligatoire. Ils citèrent des statistiques démontrant que les enfants en garderie publique apprenaient à lire plus tôt, devenaient plus indépendants et avaient une meilleure opinion des syndicats que ceux élevés à la maison.
Plus important encore, on exposait moins les bambins élevés en garderie à l’influence possiblement néfaste de leurs parents, qui après tout n’ont aucune formation officielle pour ce qui est d’élever des enfants! On laissait maintenant cela à des éducatrices professionnelles, permettant à tous les parents de travailler et de payer des impôts pour financer les garderies publiques «gratuites». Certaines personnes prétendent que les parents ayant prouvé leur compétence devraient pouvoir garder leurs enfants à la maison avant qu’ils entrent à la maternelle à l’âge de 5 ans. Le gouvernement fédéral est prêt à des compromis sur la question et a créé une commission royale d’enquête pour étudier l’opportunité de délivrer des «permis d’éducation en bas âge» aux parents ayant suivi les cours appropriés dans une Académie parentale reconnue par les autorités.
Ce scénario peut sembler tiré par les cheveux, mais à moins que les citoyens remettent en question et surveillent leurs gouvernements en croissance constante, cette situation pourrait malheureusement devenir réalité. Au début du XXIe siècle, certains anticipèrent l’avènement d’un pays aussi réglementé, mais furent soit ignorés soit traités de fous. Leurs avertissements se firent entendre quand le gouvernement ontarien bannit les pit-bulls et interdit les aliments gras dans les cafétérias scolaires en 2004.
Les interdictions de fumer dans les bars et les restaurants de plusieurs provinces commencèrent à entrer en vigueur à la même époque. Bien qu’il semblât que le registre des armes à feu allait être démantelé en 2006, un changement de gouvernement fédéral le restaura et amena aussi un système de garderies national. Ensuite le gouvernement commença à réglementer les gras trans. Mais puisqu’on considérait que ces mesures se justifiaient «pour votre propre bien», on vilipendait les citoyens s’y opposant et ces derniers ne réussirent pas à mobiliser suffisamment d’appuis pour les abroger.
Il n’y a rien de mal à sensibiliser les gens à propos des avantages d’un style de vie sain ou à les empêcher de causer un préjudice direct et démontrable aux autres. Mais nous devons exiger que l’État trouve le juste milieu entre l’exercice de la liberté personnelle et l’atteinte à la liberté des autres. Le gouvernement doit respecter les droits découlant du droit de propriété, une des pierres angulaires d’une société libre. Il doit aussi respecter le droit des autres institutions, comme la famille, de décider ce qui est dans le meilleur intérêt de leurs membres.
En fin de compte, c’est à nous de se tenir debout et de protester. Assurons-nous que le pays sur-réglementé décrit ci-dessus reste une contre-utopie orwelienne et qu’elle ne devienne jamais le Canada de 2020.
Tasha Kheiriddin est vice-présidente exécutive de l’Institut économique de Montréal.