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Textes d'opinion

Feu vert à l’assurance maladie privée? La Cour suprême donne raison aux patients qui sont prêts à payer pour se faire soigner plus vite

Débat entre Norma Kozhaya, économiste à l’Institut économique de Montréal, et Paul Saba, coprésident de la Coalition des médecins pour la justice sociale.

1. Le privé comme solution miracle?

Norma Kozhaya: Au Québec, les dépenses publiques en santé ont augmenté de 150% au cours des 20 dernières années et les listes d’attente sont toujours là. Poursuivre dans cette voie n’est donc pas la solution. Il faudrait plutôt s’inspirer de pays comme la Suède, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Australie, qui permettent l’existence d’un système de santé privé en parallèle avec le régime public. Le temps d’attente y est moins long ou inexistant, malgré un niveau de dépenses comparable au nôtre, voire inférieur. L’arrivée du privé permettrait de créer davantage de services et d’améliorer l’état de notre système de santé. Il ne s’agit pas d’aboutir à un régime privé complètement non réglementé. Le système public universel restera pour ceux qui n’ont pas les moyens de souscrire à des assurances privées.

Paul Saba: Le problème des listes d’attente découle en grande partie du sous-financement et des coupes successives dans le réseau de la santé. Plutôt que d’ouvrir la porte au privé, il faudrait investir dans le système public pour le renforcer. En outre, les assurances sont très coûteuses et leurs critères, restrictifs. Dans le New Hampshire, une assurance privée standard pour un homme dans la cinquantaine avec une femme et des enfants coûte 24 000$US par an. Très peu de monde peut se payer ça. L’argument que le privé permettra de réduire les listes d’attente dans le public n’est pas valable: c’est au Québec qu’il y a le plus grand nombre de cliniques de radiologie privées au Canada. Et c’est aussi ici que les listes d’attente en radiologie sont les plus longues dans les hôpitaux publics.

2. Concrètement, qu’est-ce que ça changera?

Norma Kozhaya: Actuellement, les médecins québécois sont contingentés dans leur pratique et plusieurs ne travaillent que sept mois pas an, car ils ont atteint leurs quotas. Ce temps pourrait être utilisé dans le privé sans qu’ils quittent pour autant le service public. Dans les autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques où il existe un régime privé parallèle, les médecins travaillent souvent dans les deux et cela ne pose pas de problème. Ce processus peut prendre quelques années, le temps que l’infrastructure se mette en place, mais il est clair que quand on a des ressources supplémentaires, qu’on permet à un hôpital privé d’ouvrir, il y a des gens inscrits sur les listes d’attente du public qui vont en sortir, et donc ça améliore la situation de ceux qui restent.

Paul Saba: Ça va entraîner une hausse des coûts de santé. Aux Etats-Unis, il a été prouvé que les hôpitaux à but lucratif ont l’habitude de surfacturer les patients, les assureurs et l’État afin d’accroître leur rentabilité. Globalement, l’existence d’un système de soins parallèle appauvrira le secteur public. Il y a déjà des médecins qui travaillent dans les deux, et ils passent plus de temps dans le privé. Ils sont comme tout le monde, ils doivent payer leur hypothèque, leurs vacances, les vêtements de leurs enfants. S’ils voient qu’ils peuvent gagner 10 fois plus ailleurs, il y a une forte attirance. Au lieu de les encourager à exercer dans le privé, mieux vaudrait améliorer leurs conditions de travail et leur permettre de travailler autant qu’ils veulent dans le système public.

3. Une bonne affaire mais pour qui?

Norma Kozhaya: Tout le monde est gagnant, puisque les gens qui iront dans le privé pour certaines chirurgies ou des examens et ceux qui resteront dans le public auront des listes d’attente moins longues. Vaut-il mieux avoir 12 semaines d’attente pour tout le monde, ou alors 10 semaines pour les uns et cinq pour les autres? On conservera un système public universel mais, parallèlement, 10 ou 20% des gens utiliseront des polices d’assurance. S’il y a une hausse des dépenses de santé, ce n’est pas forcément un problème tant que les gens en ont pour leur argent, c’est-à-dire qu’ils ont accès aux meilleurs soins dans des délais acceptables. Quant aux cas graves et urgents, ils continueront à être traités dans le système public presque sans délai.

Paul Saba: Pour les compagnies d’assurances et les gros actionnaires! Si la logique marchande prime, les inégalités face à la maladie vont s’aggraver. Et ce ne sont pas juste les pauvres ou les personnes âgées qui seront touchés, mais l’ensemble de la classe moyenne. Seuls ceux qui gagnent au moins 100 000 $ par an pourront en profiter et le système public deviendra complètement inadéquat pour 98% de la population. Certains se disent qu’ils seront mieux soignés dans le privé. Or, une étude publiée en 2002 a montré que dans les hôpitaux à but lucratif aux Etats-Unis le taux de décès est de 2% plus élevé que dans le réseau public. La course au profit accroît les risques: les chambres sont plus luxueuses, mais à quoi ça sert s’il n’y a pas assez de personnel ou si on engage des infirmières sans diplôme?

Propos recueillis par Rémi Maillard.

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