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Textes d'opinion

La mauvaise solution

Dans le contexte actuel de la mondialisation croissante des marchés, la perspective de voir des entreprises transférer une partie de leurs activités à l’étranger soulève de plus en plus d’inquiétude. Plusieurs s’inquiètent notamment de l’émergence de certains pays d’Asie, comme la Chine et l’Inde, qui misent sur un large bassin de travailleurs qualifiés et prêts à travailler pour une fraction des salaires en vigueur dans les pays industrialisés. Les plus pessimistes entrevoient un avenir sombre pour le marché du travail dans les pays développés si rien n’est fait pour stopper le transfert des emplois vers ces pays émergents.

La tentation pourrait donc être grande pour le Canada de suivre l’exemple des États-Unis, qui ont déjà recours à des mesures protectionnistes afin de contrer le mouvement des délocalisations. Cependant, cette solution manquerait sa cible puisque l’impartition à l’étranger, comme toute forme de commerce, est une importante source de croissance de l’emploi et du niveau de vie des individus.

Une source de progrès économique

La décision d’impartir à l’étranger s’appuie sur le principe de la spécialisation des tâches. Comme les entreprises ne peuvent exceller dans toutes les phases de la production, le fait de confier certaines tâches à des fournisseurs spécialisés leur permet de concentrer leurs efforts à développer leurs fonctions principales. Les gains de productivité qui en résultent génèrent la croissance économique.

Les consommateurs en bénéficient en ayant accès à des produits à meilleur prix. De plus, les gains de productivité se répercutent dans d’autres secteurs de l’économie où les firmes profitent de plus bas prix pour les biens et services qui entrent dans leur processus de production.

Les travailleurs ne demeurent pas en reste puisqu’une économie en expansion produit constamment de nouveaux débouchés en matière de produits, mais aussi en termes d’emplois. La délocalisation de certaines activités de production à l’étranger est ainsi susceptible de stimuler encore davantage la création d’emploi. Elle peut également contribuer à préserver des emplois simplement en permettant à des entreprises de demeurer concurrentielles.

La croyance erronée voulant que la quantité de travail dans une économie soit toujours constante sous-tend l’adoption de nombreuses mesures protectionnistes par les États-Unis. Depuis avril 2003, 35 États américains ont proposé plus de 150 projets de loi visant à pénaliser les firmes qui pratiquent l’impartition à l’étranger.

Ces restrictions risquent d’avoir des conséquences néfastes pour les entreprises américaines – et, par ricochet, pour les travailleurs et consommateurs américains – surtout si leurs compétiteurs ailleurs dans le monde sont libres de conclure des marchés avec des sous-traitants étrangers. Pénaliser les entreprises qui délocalisent une partie de leurs activités à l’étranger équivaut à les décourager d’abaisser leurs coûts de production et d’innover. À court terme, des emplois sont sauvegardés mais au détriment d’emplois plus rémunérateurs qui auraient été créés dans des secteurs de pointe.

Les législations de nature protectionniste adoptées par les États-Unis risquent d’avoir des répercussions négatives sur l’économie canadienne, laquelle demeure intimement liée à celle de son voisin. De telles législations seraient d’autant plus nuisibles que le Canada s’avère être l’un des lieux d’impartition les plus prisés au monde, notamment par les compagnies américaines. Le Canada se classe au premier rang des pays industrialisés selon l’indice de l’Offshore Location Attractiveness développé par une firme américaine de consultants.

Il faut reconnaître que les délocalisations occasionnent des difficultés à court terme pour les travailleurs qui perdent leur emploi. Cela met en évidence la nécessité de mieux former notre main-d’oeuvre pour lui permettre d’accéder à des emplois à plus haute valeur ajoutée et de faire face aux nouvelles réalités du marché du travail. Chercher à ralentir le phénomène des délocalisations serait toutefois contre-productif.

Yanick Labrie est chercheur associé à l’Institut économique de Montréal.

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