L’illogisme des subventions
Les rumeurs d’élections fédérales devraient ramener sur la place publique la question épineuse des subventions à l’industrie aéronautique. Je n’ai pas l’intention de prendre position sur le conflit entre Bombardier et Embraer, car je crois qu’on peut débattre de la question sans s’opposer à aucune de ces deux entreprises.Plusieurs économistes sont d’avis que les subventions aux entreprises, y compris dans l’industrie aéronautique, ne devraient pas exister. Selon eux, c’est le bien-être des consommateurs et des contribuables qui doit primer, et non celui des producteurs.
Dans un régime de subventions, les entrepreneurs courent le risque de devenir plus efficaces à faire du lobbyisme qu’à produire des biens et des services. Car il ne faut pas oublier que même les prêts et garanties de prêts offerts par l’État incluent une subvention. Si ce n’était pas le cas, les institutions financières privées les offriraient aux mêmes conditions, ce qu’elles ne font pas.
Cela étant dit, je conviens que ce type de subvention est probablement un moindre mal pour une entreprise, comparativement à une subvention directe. Néanmoins, l’argument que les contribuables ne paient pas les prêts ou les garanties de prêt est faux, car ils supportent bel et bien un coût qui s’exprime en termes de risque. C’est d’ailleurs pourquoi les organismes publics qui les offrent constituent des provisions pour pertes.
Dans les faits, les subventions aux entreprises forcent les contribuables à être des investisseurs.
Non seulement minent-elles l’économie de marché et la libre entreprise, mais elles nuisent aussi à leurs bénéficiaires même. En effet, les subventions poussent toutes les entreprises dans une situation dans laquelle personne ne gagne. Il est de l’intérêt de chaque entreprise individuelle d’obtenir des subventions. Mais si toutes en obtiennent, c’est comme si aucune n’en avait. De sorte qu’elles seraient toutes en meilleure posture si l’État n’accordait aucune subvention.
Tant que les États étrangers subventionnent leurs entreprises, il est vrai qu’il est frustrant pour les nôtres de ne pas avoir accès à une manne semblable. Mais répondre à l’exploitation des contribuables étrangers par l’exploitation des nôtres ne fait qu’empirer le problème. On peut d’ailleurs se poser la question suivante: si les subventions aux fabricants aéronautiques n’étaient pas offertes ici, les États étrangers continueraient-ils encore bien longtemps à subventionner eux aussi la construction d’avions sur leur propre territoire?
Pour ces raisons, que nos entreprises soient obligées de faire face à des concurrents subventionnés demeure un moindre mal en comparaison des conséquences d’une course mondiale aux subventions et du cercle vicieux qui en découle. À terme, comme nous l’avons constaté dans le domaine automobile, les subventions aux producteurs risquent d’entraîner une surproduction qui finira par nuire à tout le monde, y compris à Bombardier et à Embraer.
Cela ne veut pas dire que les impôts des entreprises ne devraient pas être réduits. En fait, les impôts de tous les contribuables devraient l’être. Et il est peu logique que l’État lève des impôts auprès des entreprises pour ensuite leur en remettre une partie – à peu près le tiers – sous forme de subventions de toutes sortes.
Michel Kelly Gagnon est président de l’Institut économique de Montréal.