La nécessaire liberté
En 1854, un partisan américain de l’esclavage, George Fitzhugh, écrivait que « la liberté est un mal que l’État a pour mission de guérir ». Peu de gens iraient aussi loin de nos jours, mais plusieurs se demandent: Pourquoi devrait-on privilégier la liberté individuelle?
Une première raison est d’ordre économique: la liberté permet de coordonner efficacement les actions d’individus différents vivant en société. En effet, la vie en société pose des problèmes de coordination. Les ressources sont rares et tout le monde ne peut tout avoir; si certains veulent, disons, un téléviseur, il faut que d’autres le produisent, et il faut savoir à qui appartient tel téléviseur dans tel salon.
La coordination sociale peut être assurée par une autorité politique: il suffit que celle-ci dispose de forces policières assez puissantes pour faire respecter ses décisions. C’est du reste le mode de coordination qui caractérise la plus grande partie de l’histoire humaine. Comme l’écrivait Milton Friedman (lauréat Nobel de sciences économiques) dans son fameux livre de 1962, Capitalism and Freedom, cette solution a l’inconvénient de standardiser les choix, d’imposer la conformité, et de créer des tensions sociales potentiellement explosives. Le marché constitue l’autre méthode de coordination. Le marché permet à chacun de choisir les biens et services qu’il préfère et qu’il est prêt à payer, quelles que soient les préférences des autres, voire de la majorité.
Par exemple, s’il y a des individus qui aiment fumer au restaurant et d’autres qui préfèrent un environnement non-fumeur, la solution politique consiste soit à interdire les restaurants qui acceptent les fumeurs, soit à rendre les places fumeurs très onéreuses en imposant des sections séparées, fermées et ventilées. La solution du marché consiste, elle, à laisser les restaurateurs libres de gérer des établissement pour fumeurs, non-fumeurs, ou mixtes, selon ce que leur clientèle souhaite et est prête à payer pour satisfaire ses préférences. Chacun ira ensuite dans le restaurant de son choix. Le marché est ainsi davantage susceptible de satisfaire tout le monde – sauf bien sûr ceux qui, comme George Fitzhugh, détestent la liberté ou ne la comprennent pas.
Qu’il s’agisse des appareils de télévision, des restaurants, ou de la religion, les relations libres sur le marché réalisent la coordination dans la diversité. Les solutions politiques, de leur côté, obligent une partie de la population à se conformer aux préférences des autres. En d’autres termes, la liberté individuelle permet une coordination sociale qui est économiquement efficace. L’efficacité économique, en effet, n’est rien d’autre que la satisfaction maximale des préférences individuelles.
La liberté comme système social suppose la propriété privée, c’est-à-dire des domaines où les actions individuelles n’entrent pas en conflit. Vous et moi ne nous battons pas pour décider quelle émission de télé regarder parce que chacun a son propre téléviseur dans son propre salon.
L’importance de la propriété privée dans le concept de la liberté individuelle et dans son actualisation pratique suggère une deuxième raison, d’ordre moral plutôt qu’économique, qui justifie la liberté. Pour paraphraser Robert Nozick, célèbre philosophe de Harvard décédé l’an dernier, nier la liberté de choix d’un individu revient à le considérer comme un esclave, ne serait-ce qu’un esclave à temps partiel. La morale exige que tous les individus soient également libres, ce qui équivaut à un système de liberté individuelle et d’économie de marché.
Pourquoi la liberté ? En bref, parce qu’elle est économiquement efficace et moralement juste.