Le salaire minimum à 15 $ : une solution à la recherche d’un problème
Vous avez certainement entendu un argument qui revient fréquemment pour justifier la hausse du salaire minimum à 15 dollars de l’heure. Prenez le cas d’une mère monoparentale avec un enfant qui travaille à temps plein, 40 heures par semaine, au salaire minimum actuel de 10,75 $. Appelons-la Patricia.
Compte tenu du salaire minimum, Patricia ne gagnera que 22 360 $ dans son année entière alors que le seuil de faible revenu d’un adulte et un enfant à Montréal, par exemple, est de 31 109 $ (l’équivalent de 29 004). Avec un salaire minimum à 15 $, ce même emploi lui rapporte un revenu de… 31 200 $! Patricia se retrouve au-dessus du seuil de faible revenu et le tour est joué!
Quand on veut aider Patricia, on se dit que c’est vraiment injuste de travailler à temps plein et d’être encore loin en dessous du seuil de pauvreté. Après tout, elle se démène, elle n’est pas fainéante, elle veut juste s’en sortir honnêtement… Il faut qu’on l’aide, elle et toutes les Patricia du Québec. Son enfant compte aussi sur elle et les enfants dans la pauvreté, c’est inadmissible dans notre société!
On est tous d’accord? Oui, alors continuons.
Voulez-vous aider Patricia… même si elle n’existe pas?
Le seul petit problème, c’est que Patricia n’existe pas. Mieux, elle ne peut pas exister compte tenu de la fiscalité canadienne et québécoise. C’est ce que démontrent Luc Godbout et Suzie St-Cerny dans un rapport rendu public hier.
Les chercheurs prennent en compte les impôts payés, les cotisations sociales déduites du salaire et les prestations reçues pour différents types de ménages. Bref, on parle de ce que les gens ont réellement dans leurs poches, pas juste d’une composante du revenu.
En vertu de ces calculs, le véritable revenu de Patricia sera de 32 824 $, au-dessus du seuil de faible revenu (voir la page 7). Ça, c’est la réalité! Pas un cas hypothétique et partiel.
L’argument fondé sur un cas hypothétique se décline toujours à peu près de la même manière : 10,75 $ de l’heure n’est pas un salaire décent, selon le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN. L’IRIS explique que le salaire minimum actuel est « insuffisant pour vivre décemment ». La Coalition 15+ mentionne explicitement que « une personne qui travaille 40h/semaine à 10,55$ gagne un salaire 10% inférieur au seuil de faible revenu de Statistique Canada ».
Sauf que ce n’est pas toute l’histoire. Le revenu n’est pas limité au salaire, mais aussi aux prestations et aux impôts de toutes sortes. En prenant en compte tous les aspects de la réalité, le portrait change du tout au tout. La pauvreté n’a plus du tout le même visage. Surtout, on se rend compte de la générosité des programmes déjà en place pour sortir les travailleurs à bas salaires de la pauvreté.
Une autre étude de Luc Godbout et Suzie St-Cerny refait le même exercice pour ceux qui ne travaillent pas et qui bénéficient de l’aide sociale. Ce n’est pas le paradis, on s’entend, mais les familles avec enfants ont des revenus suffisants pour répondre à leurs besoins de base. Ce sont les personnes seules et les couples sans enfant qui vivent des situations difficiles.
Est-ce que cela veut dire qu’il n’y a aucun problème? Non, bien entendu. La pauvreté n’est pas encore chose du passé. Or, justement, pendant qu’on perd notre temps collectif à débattre de fausses bonnes idées, on ne se concentre pas sur les vrais problèmes et leurs solutions!
Personnellement, je trouve dommage que le gouvernement lui-même se soit montré incapable de parler de ses propres programmes, pour montrer que le salaire minimum à 15 $ n’est rien d’autre qu’une solution à la recherche d’un problème qui n’existe pas vraiment.
Ajoutons que les seuils de faible revenu varient selon la situation familiale et le lieu de résidence, en plus d’être davantage un indicateur d’inégalité plutôt que de pauvreté. On devrait préférer la mesure du panier de consommation, qui parle du montant nécessaire pour satisfaire aux besoins de base.
Les salaires aussi varient selon la région. D’où l’importance de prendre en compte les réalités régionales comme l’ont fait mes collègues de l’IEDM dans cette publication lancée hier sur le salaire minimum à 15 $ qui aurait pour effet pervers d’encourager l’exode rural.
On y mentionne aussi qu’il existe déjà des solutions, qui sont ciblées et donc moins coûteuses. Pour qui se préoccupe des Patricia dans la vraie vie, il vaut mieux avoir un vrai portrait du problème et des solutions qui sont les plus efficaces.
Youri Chassin is Economist and Research Director at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.