Urgences – Moins de patients, plus d’attente
Ces deux dernières années, on a rapporté dans les médias que la situation dans les urgences du Québec s’était améliorée. Pourtant, lorsqu’on examine attentivement les données du ministère de la Santé, on constate que c’est l’inverse qui s’est produit, en dépit d’une diminution du nombre de visites par les patients l’an dernier.
La fausse baisse de 2017-2018
Les médias mesurent depuis longtemps l’attente aux urgences à l’aide de la durée moyenne de séjour. En 2017-2018, celle pour les patients sur civière avait connu une baisse impressionnante de près de 2 heures, tandis que la durée moyenne de séjour pour l’ensemble des patients avait baissé de près d’une demi-heure. Quant au nombre de séjours de plus de 48 heures, il avait diminué de moitié.
En utilisant la durée médiane de séjour, la réalité était plus nuancée. La baisse de près de 2 heures pour les patients sur civière devenait un gain d’une vingtaine de minutes (de 9,5 à 9,2 heures). La baisse d’une demi-heure pour l’ensemble des patients, elle, se transformait en une légère hausse (de 4,4 à 4,5 heures). Pourquoi utiliser la médiane plutôt que la moyenne ? Parce qu’elle est moins influencée par les extrêmes et plus représentative de la réalité. Par exemple, une forte diminution des très longs séjours aux urgences pourra avoir un effet important sur la moyenne, sans changer ce que vivent les patients qui y passent 5 ou 10 heures. C’est vraisemblablement ce qui s’est produit en 2017-2018.
En hausse partout en 2018-2019
En 2018-2019, aucune nuance n’est nécessaire : toutes les mesures empirent. La durée médiane de séjour pour les patients sur civière a augmenté de 14 minutes (à 9,4 heures), annulant en grande partie la baisse de l’an dernier. Celle pour les patients ambulatoires et celle pour l’ensemble des patients ont aussi augmenté de quelques minutes (à 3,3 et 4,6 heures, respectivement). En fait, malgré quelques fluctuations, la durée médiane de séjour pour les patients sur civière est la même qu’il y a 15 ans alors qu’elle a augmenté de 50 % pour les patients ambulatoires. Dans bien des hôpitaux du Québec, des séjours de 10 ou 12 heures pour une infection ou une blessure mineure ne sont pas rares.
La situation n’est pas meilleure pour le nombre de séjours de très longue durée, qui est reparti à la hausse après la baisse spectaculaire – mais artificielle – de l’année précédente. Quelque 221 151 patients ont attendu plus de 24 heures sur une civière l’an dernier, une hausse de 6 % en un an seulement, et 36 199 patients pendant plus de 48 heures, une augmentation de 21 % !
Le plus inquiétant est que toutes ces hausses se sont produites alors que le nombre total de visites aux urgences a diminué (– 1,7 %).
(Le nombre de patients de 75 ans et plus a augmenté, mais moins que les années précédentes, de même que celui de cas urgents.)
La gestion publique des hôpitaux semble avoir atteint ses limites, et les problèmes chroniques de notre système de santé se sont aggravés : aux délais qui font du Québec le dernier de classe du monde occidental se sont ajoutées des pénuries de personnel menant à du surmenage, puis à de nouvelles pénuries, le tout sur fond d’heures supplémentaires obligatoires.
S’ouvrir à l’entrepreneuriat
Étonnamment, des remèdes éprouvés tardent à être appliqués. Les systèmes de santé du Québec et du reste du Canada sont en effet des exceptions parmi les systèmes de santé des pays développés. Partout en Occident, sauf ici, l’existence d’une couverture universelle s’accompagne d’une ouverture à l’entrepreneuriat : qu’on pense seulement à l’Allemagne, l’Australie, l’Espagne, la France et l’Italie, tous des pays dont les systèmes de santé reposent sur des principes d’universalité, et où plus du tiers des hôpitaux sont privés, à but lucratif.
Même au Québec, la preuve a été faite que la recherche du profit peut exister dans un système de santé universel et donner un sérieux coup de main aux patients.
On n’a qu’à penser aux CHSLD privés conventionnés, qui offrent de meilleurs soins et à meilleur coût que leurs équivalents gérés par l’État, ou encore aux projets-pilotes de chirurgie en cours dans la région de Montréal, qui ont fait fondre les listes d’attente grâce à une productivité bien plus élevée que dans les hôpitaux publics.
Le Québec est mûr pour appliquer la même recette aux hôpitaux et aux urgences. Une grande majorité de Québécois (70 %) sont d’ailleurs favorables à ce que plus d’entrepreneurs offrent des soins, tout en maintenant la couverture universelle. Dans l’état actuel des choses, ce serait rendre un énorme service aux patients du Québec.
Patrick Déry is a Senior Associate Analyst at the Montreal Economic Institute. He is the author of “Emergency Rooms: Fewer Patients, Longer Waits” and the views reflected in this op-ed are his own.